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Vulnérabilité des droits humains en temps de crise

Rapport annuel 2020 Unia.

Cher lecteur, chère lectrice,

Nous ignorons quand vous tiendrez ce rapport annuel entre les mains, mais nous espérons que vous allez bien et que vous êtes en bonne santé. Peut-être vous êtes-vous déjà fait vacciner. Peut-être que les règles visant à endiguer la propagation du coronavirus ont été assouplies entre-temps et que vous pouvez à nouveau rendre visite à des amis et à votre famille ou discuter avec des collègues au travail. Rien de tout cela n’est sûr au moment où nous écrivons ces lignes. Tout comme vous sans doute, nous avons passé la plus grande partie de l’année écoulée confinés chez nous. Nous avons tenté de nous adapter à une existence faite de contacts et de mouvements limités. Et nous sommes plus que jamais conscients de notre vulnérabilité, de celle de la société.

En 2020, tout le monde a été confronté à sa propre vulnérabilité, mais pas de la même manière. Les mesures contre le coronavirus n’ont pas pesé d’un même poids pour tous. Ceux et celles qui ont perdu leur emploi (temporairement ou définitivement), qui ont été isolés, qui n’ont pas du tout pu voir leur famille, qui ont dû combiner le télétravail avec l’éducation des enfants (éventuellement handicapés) ou qui occupent un logement exigu sans jardin ni terrasse ont été plus lourdement touchés et plus susceptibles d’avoir des problèmes financiers et psychosociaux.

Dans ce contexte, les services d’Unia ont dû rapidement s’adapter. À la mi-mars, nos collaborateurs ont été tout à coup contraints de travailler de chez eux. De nouveaux collaborateurs et collaboratrices ont été recrutés et initiés sans jamais avoir rencontré un collègue en chair et en os. Le service du personnel a veillé au bien-être de toute l’équipe d’Unia.

Nous avons été confrontés à une augmentation sensible du nombre de signalements : nous en avons traité pas moins
de 9 466 cette année, soit une hausse de 11,7 % par rapport à 2019. Nous avons ouvert sur cette base 2 189 dossiers.
La tendance à la hausse du nombre de signalements, et donc à l’alourdissement de la charge de travail, que nous
observons depuis quelques années, ne fait que se confirmer. Nous sommes satisfaits de voir que les citoyens s’adressent davantage à Unia, mais aussi préoccupés par la polarisation croissante de la société.

La crise du coronavirus aiguise des conflits latents et les mesures sanitaires montrent que l’on perd parfois de vue certaines catégories de la population et qu’il reste du pain sur la planche si on entend mener une politique plus inclusive. En 2020, Unia a remis à divers partenaires et acteurs de nombreuses recommandations au sujet de ces mesures. Nous nous sommes par exemple adressés aux propriétaires de logements quand il est apparu que des pressions étaient exercées sur des soignants et des soignantes pour qu’ils ou elles déménagent. Nous avons parlé avec les ministres et les fédérations de l’enseignement pour ne pas perdre de vue les élèves vulnérables. Nous avons organisé une enquête auprès des personnes en situation de handicap et de leur famille. Nous avons ensuite fait de multiples recommandations parce que toutes les personnes handicapées ne pouvaient pas respecter l’obligation de porter un masque ou de faire leurs courses seules avec un chariot. Nous avons également publié un rapport général sur la politique en matière de coronavirus : « Covid-19 : les droits humains mis à l’épreuve ». Par ailleurs, nous avons dû réinventer notre propre fonctionnement. Tout à coup, les fonctionnaires de police, les agents immobiliers, les conseillers en prévention et d’autres groupes que nous formons chaque année aux droits humains et à la législation antidiscrimination n’étaient plus accessibles qu’en ligne. Le chapitre 2 « Promouvoir l’égalité » vous en dit plus sur cette approche préventive différente d’Unia.

Ce qui rend aussi vulnérable, ce sont des choses qu’on ne choisit pas, comme la couleur de peau. Le slogan « Black Lives Matter » a eu un écho dans le monde entier. Les vies des Noirs comptent aussi. Cela devrait aller de soi, mais les chiffres relatifs à la violence et à la discrimination envers les personnes de couleur disent tout autre chose. Le fait qu’aussi bien le gouvernement Wilmès que le gouvernement De Croo aient annoncé en 2020 leur intention de travailler à une approche interfédérale du racisme nous donne de l’espoir. Le Roi Philippe a exprimé son « plus profond regret » à propos des exactions commises au Congo durant la période coloniale, jetant ainsi un pont entre les protestations de 2020 dans le monde entier et le passé colonial belge.
Nos institutions démocratiques se sont aussi avérées en 2020 plus fragiles qu’on aurait pu le penser. Les interventions
sélectives de la police, le fonctionnement du parlement et la légitimité du gouvernement ont été remis en cause, ce qui a débouché sur des protestations et des manifestations qui ont souvent eu lieu en dépit de l’interdiction de rassemblement ou du couvre-feu.

Mi-décembre 2020, la Commission européenne a proposé un ensemble de mesures « Digital Markets Act » (DMA) et « Digital Services Act » (DSA). Unia applaudit cette initiative, qui peut contribuer à préserver les valeurs démocratiques sur internet et suit ces évolutions de près. De grandes plateformes de réseaux sociaux ont certes entrepris en 2020 des actions pour endiguer la propagation de fausses nouvelles et d’incitation à la haine et à la violence, mais pourraient aussi être soumises à l’avenir, grâce au DSA, à une série d’obligations supplémentaires. À Unia, nous constatons chaque année que la législation actuelle n’est pas suffisamment ferme pour combattre efficacement le virus de la haine en ligne. Avoir pu plaider à la Chambre des Représentants en faveur d’une révision de l’article 150 de la Constitution, afin de pouvoir réprimer plus simplement tous les messages de haine, de quelque nature qu’ils soient, est pour nous un motif d’espoir. La liberté d’opinion et la liberté de la presse sont d’importants acquis démocratiques, mais elles ne couvrent pas l’incitation à la haine ou les appels à la violence.

2020 a aussi été une année de combat, où nous avons souvent entendu une rhétorique de guerre : nous avons combattu le virus, avec le personnel soignant sur la ligne de front. Les opposants aux mesures anti-corona ont aussi été particulièrement combatifs. Les scientifiques qui conseillent les autorités publiques au sujet du virus ont été mis à rude épreuve et quelques virologues ont même dû bénéficier d’une protection policière après avoir subi des menaces, en ligne ou non. Nous sommes inquiets de voir que les divergences d’opinion créent de telles distances entre les gens et nous avons estimé important d’étudier ce phénomène. Nous avons ainsi examiné le discours en ligne de responsables et de partis politiques en période électorale, le suivi des délits de haine par les parquets et les mécanismes de sélection appliqués par la police. Vous lirez les résultats au chapitre 3 : « Combattre les discriminations, les messages et les délits de haine ».

En dépit de ces circonstances difficiles, de la polarisation croissante et la stigmatisation de certaines catégories de la population, nous avons aussi vu beaucoup de solidarité, d’engagement professionnel et d’esprit civique. Nous nous rappellerons dès lors de 2020 comme d’une année pleine de paradoxes. La nouvelle année 2021 sera une année d’espoir : l’espoir de sortie de la crise sanitaire. Notre espoir est renforcé par le courage et la résilience que nous avons observés en 2020. Mais ne soyons pas naïfs : en 2021 aussi, nous resterons vulnérables. Les conséquences économiques de la pandémie auront sans aucun doute des répercussions sur notre société et, une nouvelle fois, toucheront d’abord les plus vulnérables. Unia est prêt à lutter cette année aussi pour l’égalité des droits et des chances. Avec beaucoup de citoyens, avec vous. C’est la seule manière pour notre société d’aller de l’avant.

Patrick Charlier : Directeur

Els Keytsman : Directrice

Pour en savoir plus : www.unia.be

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