News

SAUDADE#36 : D’un 11 juillet à un autre.  D’un génocide à un autre.  Srebrenica–Gaza

Malgré la protection des Nations Unies, il y a trente ans, dans une ville au cœur de l’Europe, on y perpétra un génocide.  Depuis, le nom de Srebrenica est devenu synonyme de l’impuissance internationale, du silence complice, et de la faillite morale des institutions chargées de préserver la paix.

À l’époque, on parlait d’horreur exceptionnelle. Aujourd’hui encore, cette tragédie interroge notre capacité à voir, à nommer, à prévenir. Car si la mécanique du génocide est ancienne, elle se reproduit parfois à quelques décennies d’intervalle, sous d’autres latitudes, avec les mêmes logiques déshumanisantes et les mêmes silences.

En 2025, c’est à Gaza que l’histoire vacille à nouveau. Ce territoire sous blocus est désormais le théâtre d’un effondrement humanitaire sans précédent. La famine, les bombardements massifs, l’absence d’abris, la coupure totale des communications, les hôpitaux ciblés : tout indique une stratégie de destruction méthodique d’une population déjà vulnérable.

Des rapports internationaux, couplés à des images satellites et à des témoignages de terrain, a conduit à évoquer un « désastre humanitaire à caractère possiblement génocidaire ». Cette formule prudente masque mal l’évidence qui crève les yeux de celles et ceux qui veulent bien regarder.

Srebrenica et Gaza ne sont pas identiques. Ni dans leur contexte, ni dans leurs causes, ni dans leurs acteurs. Mais un fil rouge les relie : la construction du silence. Avant les morts, il y a les mots. Ceux qui anesthésient : « dommages collatéraux », « erreurs de ciblage », « opérations défensives ». Ceux qui effacent l’humain derrière la stratégie. Ceux qui justifient l’inaction au nom de la complexité ou de la neutralité. Cette langue technocratique et cynique permet de ne pas voir, de ne pas entendre, de ne pas agir.

Au CRICharleroi, nous savons que ces glissements linguistiques sont le prélude à des drames que l’histoire retiendra tard, trop tard. Depuis des années, nous travaillons à faire émerger une conscience critique face à ces mécanismes d’effacement. Nous analysons les récits, les absences de récits, les zones d’ombre. Nous ne prétendons pas détenir la vérité, mais nous affirmons que face à la souffrance humaine, la neutralité est un choix politique. Et que ce choix, souvent, sert les dominations.

Srebrenica nous avait appris que le génocide ne surgit pas brutalement. Il s’installe progressivement, sur un terrain préparé par la peur, la haine, l’indifférence. Gaza nous rappelle aujourd’hui que la mémoire ne suffit pas à empêcher la répétition. Nous avons les outils, les images, les analyses. Nous savons. Et pourtant, cela ne suffit toujours pas. Ce constat terrible interroge le rôle des institutions, mais aussi celui de la société civile, des écoles, des médias, et des lieux comme le nôtre. Il nous oblige à réinterroger nos propres pratiques, à élargir nos perspectives, à mobiliser une forme de conscience éthique.  Il nous force à établir des regards croisés sur les crimes de masse et la responsabilité citoyenne.

Il nous faut associer des témoignages, analyses, ateliers.

Les usagers que nous rencontrons au CRIC héritent d’un monde fracturé.  Il nous faut co-construire des espaces de parole, en refusant toute instrumentalisation. Car le deuil, la mémoire et l’indignation ne doivent pas être capturés par des logiques partisanes ou de clans.

L’universel ne se décrète pas, il se construit à travers l’écoute, la reconnaissance et la solidarité.

Dans une époque saturée d’images et de réactions immédiates, notre travail est de ralentir, de comprendre, de relier. À Srebrenica comme à Gaza, ce ne sont pas les faits seuls qui font l’Histoire, mais ce que nous en faisons collectivement.  Ici au CRIC, il nous incombe de nommer, documenter, transmettre et résister à l’oubli.

Les génocides ne se ressemblent pas, mais ils nous regardent tous. Et leur répétition, si elle n’est jamais identique, reste toujours un échec de l’humanité partagée.  Au CRICharleroi, on ne prétend pas changer le monde, mais nous continuerons, obstinément, à porter la mémoire vive contre l’amnésie et les silences organisés.

Fabrice CIACCIA, Directeur du CRI Charleroi

Nos prochains événements

Cofinancé par :

Logos RW & Europe