News, SAUDADE

SAUDADE#31 l’intégration anticipée flamande

Retour vers le futur : l’intégration anticipée flamande : entre innovation et crispations

SAUDADE humeur du directeur du CRI Charleroi

Depuis l’automne 2025, la Flandre entame un virage inédit dans sa politique d’intégration : les migrants économiques et les personnes venant dans le cadre du regroupement familial pourront désormais débuter leur parcours d’intégration depuis leur pays d’origine. Portée par la ministre de l’Intégration, cette mesure s’inscrit dans l’accord de gouvernement. Elle concrétise un projet symbolique du gouvernement régional Flamand : l’intégration anticipée.
Concrètement, le dispositif prendra la forme d’un cours d’orientation sociale numérique, proposé dès l’introduction de la demande de visa. L’objectif avoué est de familiariser les futurs arrivants avec les normes et les valeurs de la société flamande, mais aussi le droit du travail, la législation sociale ou encore l’organisation des services publics. Cette première phase ne remplace pas le parcours d’intégration obligatoire qui a lieu après l’arrivée, mais elle en constitue un préambule préparatoire.
L’idée n’est pas neuve. Des projets pilotes ont déjà été menés ces dernières années au Maroc, au Liban et en Jordanie, avec des retours jugés positifs par la ministre. Ces expérimentations ont permis de tester l’accessibilité du matériel numérique, l’engagement des candidats à l’immigration et l’efficacité des modules pédagogiques. Selon la Ministre, cette approche permet de réduire le choc culturel initial et d’accroître l’autonomie des nouveaux arrivants dès les premières semaines en Flandre. Le contenu sera disponible dans plus de 20 langues, et chaque participant sera suivi à distance par un « intégration coach » flamand.
Cependant, si l’initiative peut sembler pragmatique, elle suscite également de nombreuses réserves.
Premièrement, l’accessibilité du cursus numérique reste conditionnée à la possession d’un équipement informatique, à une connexion stable et à des compétences numériques de base, qui ne sont pas garanties dans toutes les régions du monde.
Ensuite, la qualité pédagogique des cours reste à évaluer rigoureusement ! S’agit-il d’une simple transmission de normes ou d’un véritable processus d’apprentissage interculturel ? L’absence de résultats chiffrés ou d’études d’impact sur les projets pilotes soulève des interrogations sur l’efficacité réelle du programme.
Au-delà des aspects pratiques, la mesure pose une question politique fondamentale : conditionner l’entrée sur le territoire à un parcours d’intégration préalable ne risque-t-il pas de créer une nouvelle forme de sélection ? En visant uniquement les migrants économiques et familiaux, le dispositif exclut de fait les demandeurs d’asile !
Cela alimente un discours selon lequel certains migrants seraient plus « intégrables » que d’autres, et pourrait accentuer une logique de mérite migratoire.
Par ailleurs, une fois en Flandre, les migrants devront continuer leur parcours d’intégration avec des acteurs locaux : l’agence AGII, les communes, les CPAS. Mais ces structures manquent souvent de moyens. Elles devront s’adapter à un public qui aura suivi un début de parcours différent, parfois en décalage avec ce qui se fait localement. Cela pose des questions sur la cohérence pédagogique et l’accompagnement concret.
Sur le plan international, la Flandre n’est pas seule à explorer cette voie. Les Pays-Bas ont eux aussi mis en place une logique de « pré-intégration » obligatoire depuis le pays d’origine, mais avec des effets contrastés. Une étude récente du SCP (Sociaal en Cultureel Planbureau) aux Pays-Bas montre que si certains migrants arrivent mieux préparés, d’autres vivent cela comme une étape administrative de plus, voire comme une barrière décourageante.
Avec cette « intégration avant départ », la Flandre change de logique. Elle ne voit plus l’accueil comme un processus qui commence à l’arrivée, mais comme un lien qui se tisse en amont, entre le futur migrant et la société d’accueil. Reste une question clé : cet outil sera-t-il une chance réelle d’émancipation, ou bien un filtre de plus dans un parcours déjà semé d’obstacles ?

Fabrice CIACCIA
Directeur du CRI Charleroi

Nos prochains événements

Cofinancé par :

Logos RW & Europe