
Urgence médicale : un droit légal, une réalité aléatoire.
Retour sur le rapport de la Cour des Comptes
En Belgique, la loi est claire. Même lorsqu’on vit dans l’ombre administrative, sans papiers et sans ressources, on n’en reste pas moins une personne avec un corps qui tombe malade, une dent qui s’infecte, un virus qui se propage. C’est sur cette base élémentaire que l’aide médicale urgente (AMU) a été pensée : garantir, au nom de la dignité humaine et des traités internationaux, l’accès aux soins pour les personnes en séjour illégal. Pas une faveur. Un droit. Pourtant, dans la pratique, ce droit ressemble parfois à un mirage.
Car derrière la façade légale, certains CPAS se sont arrogés un pouvoir qu’ils n’ont pas : limiter l’accès aux soins, restreindre le choix de l’hôpital, voire, comble de l’absurde, octroyer une « décision positive »… sans ouvrir aucun accès réel aux soins.
On pourrait croire à une mauvaise organisation. Mais quand 16 % des décisions positives en 2022 étaient en fait vides de contenu, on dépasse la simple négligence : on parle de dysfonctionnement systémique. Et surtout, on parle d’un mépris de la loi. Le CPAS n’est pas une institution médicale. Son rôle est d’appliquer la loi, pas de la réécrire à la petite semaine.
Ce bricolage administratif a un prix. Pas seulement humain, même si les souffrances invisibles de ceux qu’on prive de soins devraient suffire à nous alarmer. Il a aussi un coût pour les finances publiques. Car un problème de santé qu’on ne soigne pas à temps devient une urgence. Et une urgence, ça coûte. En 2023, l’AMU représentait 80,7 millions d’euros de dépenses remboursées aux CPAS par l’État. Mais ces chiffres sont trompeurs : 85 % de ces soins étaient prodigués à l’hôpital. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas organisé l’accès aux soins de première ligne. Ces obstacles administratifs font pourrir la situation et exploser les dépenses.
Ce déséquilibre est d’autant plus absurde que dans la population générale, 89 % des soins se font hors hôpital. Ce n’est pas un hasard : c’est là que les soins sont les plus efficaces, les plus rapides, les moins coûteux. Faciliter l’accès à ces soins pour les bénéficiaires de l’AMU, ce serait logique. Ce serait bon pour la santé publique. Ce serait intelligent financièrement. Ce serait… la loi.
Mais pour que cela fonctionne, il faut un pilotage digne de ce nom. Et là encore, ça cloche. Le SPP Intégration sociale, censé contrôler l’application de l’AMU, brille par son absence. Il ne vérifie pas toujours si les décisions des CPAS respectent les délais. Il ne s’assure pas que les refus soient motivés. Il n’évalue pas l’impact sanitaire ni budgétaire des limitations illégales.
Le système Mediprima est censé simplifier la facturation et la rendre plus transparente. Mais est-ce le cas ? Plus de dix ans après sa création, il ne concerne toujours que les hôpitaux et les généralistes. Pour tous les autres soignants – infirmiers, dentistes, kinés – c’est encore la gestion à l’ancienne : paperasse administrative, erreurs et retards.
Alors, que reste-t-il ? L’impression désagréable qu’on a érigé autour de l’AMU un mur invisible. Un mur de pratiques, d’incompétence, de frilosité politique. Un mur qu’il faut maintenant faire tomber, parce que la santé n’est pas un privilège pour citoyens en règle, c’est un droit pour tous, même ceux qu’on refuse de voir.
Oui, il y a urgence. Mais pas seulement médicale.
Fabrice CIACCIA
Directeur du CRICharleroi
Le rapport de la cour des comptes :
https://www.uvcw.be/no_index/files/14936-202514aidemedicaleurgente.pdf
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