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La gestion médiatique de l’islam : une étude de cas qui nuance une série d’idées préconçues

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La représentation de l’islam dans la presse, et plus largement dans la société, a toujours fait débat, quand elle ne va pas jusqu’à faire polémique. Découvrir le fruit du travail d’une chercheuse qui a fait de cette représentation un objet d’analyse approfondie est une occasion unique de tenter d’objectiver au maximum la thématique. C’est la démarche qu’a initiée la Maison de la Laïcité de La Louvière, avec l’appui de différents partenaires dont le CeRAIC (Centre Régional d’Intégration de la région du Centre), en donnant la parole à Elisa Minsart, doctorante en Sciences politiques à l’UNamur, auteure d’un ouvrage circonstancié sur la gestion médiatique de l’islam. Un regard qui permet de rééquilibrer certains paramètres.

La rencontre-débat avec Elisa Minsart portait le titre de son ouvrage : « Gestion médiatique de l’islam : la complexité du bien faire ». Son analyse a tenté d’établir si la représentation de l’islam dans la presse est biaisée et dans quelle mesure, en partant d’un double constat majeur : l’insatisfaction des musulmans face à leur représentation dans les médias et la difficulté de traitement médiatique des thématiques liées à l’islam. Alors que l’image de l’islam et des musulmans est régulièrement au centre de l’attention, la doctorante a, dès lors, entrepris d’observer leur représentation effective. Pour cette étude de cas, son choix s’est porté sur ce qu’elle appelle « un journal généraliste de qualité », le quotidien La Libre, dont elle a décortiqué les articles traitant de l’islam et des musulmans, hors champ international, au cours de l’année 2020.

Près de la moitié des articles événementiels centrés sur le terrorisme

Elisa Minsart a recensé 132 articles dont elle a fait son corpus d’analyse. Deux tiers d’entre eux sont des articles événementiels, le tiers restant étant composé d’articles d’opinion. Le premier constat chiffré est que près d’un article événementiel sur deux (47%) traite de terrorisme et d’extrémisme religieux. Parmi ceux-ci, les trois-quarts ont trait à des questions sociétales dont les principales sont les discriminations et le racisme (9%), la criminalité (8%) et l’enseignement (4%). Le quart restant porte sur les questions cultuelles, qu’on peut subdiviser en deux volets : 14% pour les pratiques cultuelles (port du voile, abattage rituel, ramadan, fraternité des cultes, Aïd, etc.) et 11% pour l’organisation institutionnelle du culte (organisation politico-économique, bâtiments, etc.). Pour sa part, le tiers d’articles d’opinion se regroupait autour de thématiques brûlantes, en tête desquelles on retrouve le terrorisme (23%), les caricatures de Mahomet (18%), les discriminations (11%), l’intégration et les valeurs européennes (9%), le port du voile (7%), etc.

Sur le plan du vocabulaire utilisé, la chercheuse observe une grande prudence dans le traitement du terrorisme islamiste. Au niveau de la couverture événementielle, celui-ci est abordé en opposition avec l’islam et les musulmans. Dans les articles d’opinion, les musulmans sont présentés sous un éclairage positif (victimes, pacifiques, porteurs de valeurs, etc.), les terroristes islamistes négativement (des fous, des barbares, des intolérants, une menace), le monde politique, la société belge et européenne comme devant se réemparer de la question religieuse, et l’islam comme pluriel. Les musulmans sont globalement présentés comme les premières victimes du terrorisme et les premiers à le condamner.

Une orientation générale plutôt tournée vers l’ouverture

D’après l’analyse d’Elisa Minsart, la prise de parole sur les thématiques concernées est majoritairement assurée, ou accordée, aux non musulmans. Pour la couverture événementielle, c’est le cas dans près de la moitié des cas (48%), bien devant la prise de parole des musulmans (33%), le reste (19%) des interlocuteurs n’étant pas identifiés. Pour les articles d’opinion, la différence est encore plus marquante : 60% des auteurs sont non musulmans, 31% musulmans et 9% non identifiés. Dans cette prise de parole, la chercheuse note, d’un côté, une anticipation de la perception de l’opinion exprimée et, de l’autre, un marché médiatique sous pression, marqué par un manque de moyens et de connaissances spécifiques, ainsi que par une difficulté pour atteindre les sources d’information pertinentes. Et elle souligne aussi les limites de son analyse ne portant que sur un média unique au cours d’une seule année.

Sur le plan de la tonalité des contenus, la répartition des articles de couverture événementielle met en lumière une majorité écrasante d’articles neutres (87%), pour seulement 7% d’articles d’ouverture et 6% d’articles défensif. La tendance est beaucoup plus équilibrée, du côté des articles d’opinion avec 43% d’articles d’ouverture, 41% d’article neutres et 16% d’articles défensifs. Ce double constat fait dire à l’intéressée que l’orientation générale serait plutôt tournée vers l’ouverture.

Entre recension limitée aux faits et recontextualisation

L’analyse de la répartition des articles selon le type de contenu nuance cette vision. Du côté de la couverture événementielle, Elisa Minsart répertorie 51% d’articles factuels, 32% d’articles commentés, 10% d’articles recontextualisés et 7% d’entretiens. Au niveau des articles d’opinion, elle recense 35,71% d’articles représentant une recontextualisation/objectivation/analyse d’un événement ou phénomène, 28,57% une prise de position argumentée, et 11,90% respectivement une prise de position idéologique ou une réaction émotionnelle, des entretiens/récits de vie/récits d’expérience et la catégorie « autres ». Cette double série de résultats fait dire à la chercheuse qu’on se trouve dans un face-à-face entre une actualité brûlante, limitée aux faits, et une recontextualisation dans les opinions.

Cette recontextualisation de l’islam dans les opinions est qualifiée de multifacette par l’intervenante. Ce vocable englobe différentes prises de position : une relativisation du caractère prétendument exceptionnel de l’islam, une réflexion sur la responsabilité de la société belge et ses problèmes avec le religieux, une volonté de montrer la diversité de l’être musulman, une présentation des significations multiples du port du voile ainsi que différentes recontextualisations historiques.

Déconstruire les amalgames et dépeindre la diversité

L’ensemble de ces éléments d’analyse amène Elisa Minsart à une remise en perspective du débat sur la représentation de l’islam dans la presse et sur son approche. Elle met tout d’abord en exergue plusieurs facteurs défavorables : la difficulté à trouver des interlocuteurs musulmans, les conditions de production des contenus des médias (temps, pression), tout en soulignant la conscience médiatique de ceux-ci de leur responsabilité. Elle n’hésite pas à dire, à ce propos, qu’un article sur le terrorisme possède tous les ingrédients pour « faire recette », tout en affirmant que l’exposition majoritaire est celle d’un « bon musulman modéré » face à un « mauvais musulman fondamentaliste ».

Elle note de surcroît la volonté de déconstruire les amalgames et de dépeindre la diversité de l’islam au sein duquel le courant djihadiste est cependant perçu et présenté comme hyper minoritaire. Elle concède toutefois que la représentation manque clairement de nuance et qu’il convient de dénoncer la représentation négative de l’islam qu’il ne faut cependant pas assimiler à de l’islamophobie. Et de conclure en mettant en évidence une volonté manifeste de « bien faire » qui est susceptible d’être contre-productive, dans une presse qui est essentiellement événementielle.

Un article signé Dominique WATRIN pour le DisCRI ASBL.

Gestion médiatique de l’islam : la complexité du « bien faire » - Le cas du journal La Libre en 2020, Elisa Minsart, 130pp., Academia, 2022.
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