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De l’ombre des terrils (histoire de famille) au siège du CRIC : portrait de Fabrice Ciaccia, notre nouveau directeur.

Fabrice Ciaccia, portrait directeur cric wes anderson

Quartier populaire de Courcelles, un gamin issu de l’immigration italienne joue avec ses copains, au foot probablement. Il ne le sait pas encore, il n’y pense pas, mais dans 30 ans, il s’installera au fond d’un profond siège en similicuir au deuxième étage des bureaux du Centre Régional d’Intégration de Charleroi. Le petit Ciaccia sera devenu le grand manitou du CRIC. Portrait d’un homme, analyse d’une ascension sociale, vision de l’intégration de demain et surtout, message d’amour à ses origines. Lisez.

Il s’appelle Fabrice Ciaccia, 44 ans, une femme, deux enfants. Il est directeur du CRIC. Nous sommes en 2022. Je rentre dans son bureau pour cet interview. Il tapote sur son PC, sans doute un millième message à l’un de nos partenaires ou de nouvelles notes pour l’une de ses prises de parole. La pièce est presque vide à l’exception d’un grand bureau noir et d’un cadre laissé par le précédent propriétaire, Thierry Tournoy. On y voit, sur un fond désertique une poignée d’enfants au teint hâlé rire devant l’objectif. On devine que cette joie n’est que de circonstance car dans leur accoutrement, leur regard et leur corps, on voit que la vie n’est pas rose tous les jours. Pour le reste, pas de déco, on est encore en mode déménagement, l’urgence est ailleurs.

Le Ciaccia relève la tête vers moi. Il n’est pas à son aise. J’ai préparé mes questions sans les lui soumettre à l’avance. De derrière ses lunettes griffées Cazal, je vois son regard qui passe de mon pc à ma trogne. On commence, inutile d’attendre plus longtemps. Depuis que je le connais, deux ans, je me pose pas mal de questions le concernant, je ne vais pas me gêner pour gratter un peu.

Les origines

Italiennes, un village dans les Pouilles, un autre en Calabre. C’est de là que viennent les ancêtres de la familia. Lui, beau rejeton de deuxième génération, n’est pas né là-bas, dans ce Sud rural de la Botte. Mais il l’aime son Italie et il en parle avec passion. Ça revient dans sa bouche comme un mantra, une évocation apaisante emprunte de fierté. Pour peu, il me sortirait un drapeau de sous son bureau. Au vrai, je la sens dans son souffle l’Italie, le choix des mots pour raconter ses anecdotes, le rappel constant à ceci ou cela. Je voyage en l’écoutant. Mais revenons à mes questions.

Il a donc grandi dans une maison de rangée à Courcelles. Et il le revendique. Oui qu’il me dit, il a fréquenté la haute, les bels gens d’université, les conférenciers ici ou là-bas mais son cœur est resté à sa place. Il y est retourné d’ailleurs par la suite dans les corons, dans une petite maison jouxtant le puits où son grand-père était mineur. Puis il achète une autre maison aussi liée à l’histoire familiale pour y installer les siens. Entre temps, après des études primaires et secondaires classiques, il entamera un cursus en socio puis en criminologie.

Le père de famille

La mixité chez les Ciaccia, on en parle mais surtout on la pratique. Notre Ciaccia est marié à une jeune dame issue d’une famille turque (eux aussi venus travailler dans les mines à l’époque). Il le dit lui-même, ses propres enfants sont le fruit de l’immigration. Ils ont cette mixité et ses histoires familiales inscrites dans leurs gènes. Certes, ils sont encore un peu petits pour leur en parler. Mais la question se pose déjà dans les appellations. On donne du « Zia », du « Zio » côté Italie et du « Dede » ou du « Teyze » du côté Turc. Dans le sang qu’on vous dit ! 

Histoire de codes

L’important pour Ciaccia ce sont les codes, les codes liés aux différentes cultures. Ces règles cachées, il faut d’abord savoir les décoder pour ensuite les analyser et, au besoin, se les réapproprier. Il dit d’ailleurs que sa réussite (relative, c’est qu’il est humble en plus) tient pour beaucoup à sa capacité à jouer avec les codes, passer d’un milieu (social), l’autre, d’une culture, l’autre. En comprenant à chaque fois, les dits et les non-dits de chacun. C’est ainsi selon lui que l’on parvient à se hisser plus haut (si l’on peut dire). De par son histoire familiale, comme pour beaucoup d’enfants immigrés, bosser dans un bureau et pas à l’usine, c’est déjà une belle réussite qui fait la fierté des parents.

Mon ascension sociale est directement liée à mes efforts de compréhension des cadres de références des autres.

F. Ciaccia

L’employé motivé

C’est donc doté d’un solide bagage qu’il frappe à la porte du CRIC, propulsé aux initiatives locales. Il ne connait pas tout mais il tisse des liens et se fait conseiller par ceux qui savent. Fort de cette capacité d’adaptation (le jeu avec les codes, suivez svp), il fait sa place, devient coordinateur avant le grand saut. Celui qui le propulsera à la place de directeur.

Le voilà donc, là, devant moi, dans ce fauteuil à haut dossier. Il est plus détendu à présent, parler de soi, ça fait toujours du bien. Le CRIC à présent et le secteur. Poursuivons…

Pourquoi lui ? Ose-je demander. Pour sa connaissance concrète du terrain qu’il me répond. Son intérêt pour le secteur évidemment, sa sensibilité aux subtilités du milieu et la vue globale qu’il a de l’ensemble ajoute-t-il.

Et si tu l’aimais tant ton poste, pourquoi devenir directeur ? Pour le challenge dit-il, pour essayer de peser un maximum dans l’écosystème, influer sur les enjeux. Avoir son mot à dire aussi, son taf à faire pour améliorer le sort de ses contemporains. Et enfin, essayer de convaincre l’autre par l’exemple. Il parle ensuite de lui-même comme d’un usurpateur gentil, un fils d’immigré, installé au sommet d’une institution publique. Pour finir, il me cite du Kery James :

Chaque fils d’immigré est en mission. Chaque fils de pauvre doit avoir de l’ambition.

Kery James

La consécration du directeur

Que va-t-il apporter de plus finalement ? J’enchaine. Du concret, notamment via la réelle et méticuleuse connaissance du terrain qu’il a acquise durant ses années de service avec les actions locales et les formations qu’il a pu donner. Il veut être près de la réalité des gens, Ciaccia, et répondre à leurs vraies attentes.

Avec lui à la barre, le CRIC va poursuivre ses objectifs à court terme, terminer ce qu’il faut terminer, avancer sur les dossiers en cours et relever les nombreux défis que nous impose notre société. Ensuite, l’énergie des équipes va alimenter différentes réflexions sur des projets novateurs. Ceci, avec pour ultime objectif de devenir un acteur incontournable du secteur. Ce qu’il manque pour y arriver ? Le frein principal ? Le « lové » (l’argent) !

Dans l’intimité du Ciaccia

Pour finir notre entretien, je suis passé en mode Bernard Pivot avec des questions plus légères mais passionnantes sur ses goûts. Lesquels ? Vous aurez l’occasion de les découvrir dans nos prochaines communications. Juste un exemple, ce matin en voiture, il écoutait Shades of blues de Madlib et, hier soir, il a regardé du Wes Anderson (qui a inspiré notre cover).

Il m’arrête là, me dit qu’il a un autre rendez-vous. Ok pour moi, mon portrait sera déjà trop long de toute façon. On parlera du reste dans nos billets d’humeur si tu veux bien, qu’il me fait. Alors, je range le PC et regagne mon propre bureau pour rédiger ceci. J’ai hâte d’entendre et voir la suite. Car une chose est sûre, le Ciaccia est passionné et ne lâchera rien pour atteindre ses objectifs.

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