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Maisons « pirates » : interdire ou encadrer ?

On dénombrerait une cinquantaine d’hébergements non agréés en Belgique francophone. Si certains offrent une solution correcte pour un public qui n’a pas trouvé de place dans le circuit «officiel», les dérives constatées dans d’autres sont légion. À Bruxelles comme en Wallonie, le vide juridique qui entoure ces hébergements est en voie d’être comblé. Bruxelles se dirige vers une interdiction. La Wallonie s’oriente vers une forme d’encadrement souple.

Si la Région bruxelloise a opté pour une réponse ferme, la Région wallonne s’oriente vers une voie plus souple qui permettrait aux SHNA de prétendre à une forme d’agrément «léger». Certaines maisons affichent plus de professionnalisme et peuvent constituer une solution pour loger des publics particulièrement éloignés des logiques d’insertion, argumente le député cdH Benoit Drèze, qui a déposé un projet de décret(1) pour intégrer leur reconnaissance dans le Code wallon de l’action sociale et de la santé (Cwass), qui encadre l’accueil, l’hébergement et l’accompagnement des personnes en difficultés sociales. «Bien des personnes sont exclues du système, car elles n’appartiennent pas au public visé ou ne répondent pas aux conditions fixées par le Code. Ces critères touchent principalement la volonté et la capacité de réinsertion des résidents, la limitation dans le temps de leur durée de séjour et le passage préalable par une institution active dans la réinsertion», argumentent les auteurs dans leur proposition.

Des SHNA aux MALD

Un acronyme chassant l’autre, les SHNA pourraient se faire reconnaître comme des MALD (maisons d’accueil de longue durée). Pour ce faire, elles devront respecter des conditions comme tenir un registre de la participation financière des résidents, élaborer un projet d’accompagnement individualisé, créer un conseil des hébergés qui se réunit au moins une fois par mois, etc. «Faut-il légiférer concernant les structures d’hébergement non agréées? Pour moi, la réponse est évidente, c’est oui. Mais pas n’importe comment. (…) Avant de légiférer, il faut savoir de qui et de quoi on parle», a réagi Christine Vanhessen, directrice de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA), lors de l’audition des experts par le parlement(2). Si les SHNA recueillent un public à l’intersection de différents secteurs – santé mentale, maison de repos, handicap, sans-abrisme – qui ont chacun leurs cadres et leurs enjeux, c’est d’abord ceux-ci qu’il conviendrait de mieux analyser. «Il faut renforcer l’offre de services en ayant, de la même manière qu’il faut le faire pour les structures d’hébergement non agréées, évalué les besoins. Faut-il créer plus de maisons d’accueil? Faut-il créer plus d’abris de nuit? Faut-il créer plus, alors que l’on vient d’en diminuer le nombre, de lits psychiatriques? Faut-il créer plus de places en maison de repos pour un public qui dispose de revenus faibles?»

«Il n’est pas question de légiférer de manière telle que ce modèle soit demain un refuge pour que d’autres types d’accueil se réfugient dans ce sous-modèle.» Alda Greoli, ministre wallonne de l’Action sociale

Une nouvelle version du texte doit être déposée. Si la ministre wallonne de l’Action sociale s’est déclarée favorable à la reconnaissance des SHNA, Alda Greoli veut rassurer les secteurs en place quant aux craintes que cette nouvelle législation ne vienne concurrencer les normes existantes. «Il n’est pas question de légiférer de manière telle que ce modèle soit demain un refuge pour que d’autres types d’accueil se réfugient dans ce sous-modèle (…) et que ce soit une manière d’échapper aux réglementations, une manière d’échapper à l’encadrement, une manière d’échapper à la qualité. Il est donc très clair que, dans ma volonté politique, la réglementation doit être une réglementation résiduelle.» Quid de la question épineuse du financement de ces structures? «Pour ma part, j’estime que ces structures doivent agir de façon résiduaire par rapport aux structures d’accueil agréées», botte en touche la ministre.

Une réglementation «résiduaire», avec un financement «résiduaire», pour un public qui serait en quelque sorte «résiduaire»? «Il semble que l’on veuille créer un cadre pour agréer des structures light, des structures un peu fourre-tout. (…) On semble vouloir faire un texte pour alléger les normes. Il faut qu’il y en ait, mais pas de trop, parce que lorsque l’on en met de trop, cela coûte cher», résume à sa façon Eliane Tillieux (PS), députée wallonne et ministre de l’Action sociale entre 2009 et 2014.

Travail en réseau

La question des moyens reste importante. Pour rentrer dans leurs frais, les SHNA travaillent avec un personnel réduit à son strict minimum pour encadrer un public très fragile. «Le secteur pour lequel je suis engagée a encore, aujourd’hui, besoin de faire des repas boudin-compote parce qu’il ne s’en sort pas avec les subventions qu’il a. Imaginez qu’un secteur ou des services non agréés qui n’auraient pas de subventions, qui n’auraient pas de dons divers et variés, imaginez comment ils doivent fonctionner, uniquement par les frais d’hébergement, par les frais de résidence qui seraient demandés aux personnes», s’inquiète Christine Vanhessen, de la Fédération des maisons d’accueil. Même constat du côté de Jean-Louis Feys, médecin-chef au centre psychiatrique Saint-Bernard de Manage, également auditionné au parlement: «Il faut savoir qu’à l’hôpital, pour les litées, les lits de longue durée, pour 30 personnes, on n’a que dix équivalents temps pleins. Ce qui permet, dans le meilleur des cas, de faire du bon gardiennage, mais qui est quand même très très limité en matière de projets.»

Pour les auteurs de la proposition de décret, la solution passe par une forme de travail en réseau. «Ce que les personnes qui vivent dans ces logements cherchent, c’est d’abord un hébergement, défend Benoit Drèze (…) On a suffisamment de services, on a des initiatives d’habitation protégée, on a nos services d’accueil et d’hébergement qui prennent déjà la personne en charge de façon globale. Ici, on serait dans un hébergement qui est plus une aide au logement avec, quelque part, l’aide pour aller là où l’on doit aller: ‘Es-tu allé chez ton médecin? Je vois que tu n’es pas bien, ne retournerais-tu pas chez ton psychologue? Je vais appeler l’assistante sociale du CPAS parce qu’il y a quand même un problème par rapport à une facture impayée, tu pourrais peut-être être aidé.»

 

Source : Alter Échos n° 458

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