
Chaque 11 novembre, le silence se fige sur les places, les drapeaux se baissent, les gerbes se déposent. On commémore l’Armistice, ce moment suspendu où les canons ont cessé de parler pour laisser place à la paix retrouvée.
On se rappelle. Mais se souvenir ne suffit pas. À Charleroi, au CRI, nous savons que la mémoire n’est pas un monument figé. Elle est matière vivante. Elle respire dans les récits de ceux qui ont fui d’autres guerres, d’autres frontières, dans les regards de ceux qui, aujourd’hui encore, traversent des tempêtes pour espérer un avenir.
Le 11 novembre, c’est l’armistice de 1918. Le 11 novembre, c’est une question adressée à notre présent : comment cultiver la paix ? La paix ne naît pas d’un silence, mais d’une parole partagée. Et c’est cela que nous devons cultiver.
Au coin d’une table, des femmes et des hommes apprennent une langue qui leur est étrangère, mais ils découvrent aussi la confiance, la dignité, l’écoute.
Dans nos différents ateliers, on ne réécrit pas l’Histoire. On écrit les histoires, au pluriel, celles des vies cabossées par les guerres, la misère ou l’exil. On tisse des liens entre celles et ceux que tout semblait opposer.
Alors oui, en ce 11 novembre, il y a les trompettes, les drapeaux, les médailles. Mais il y a aussi ces gestes discrets qui prolongent l’armistice au quotidien : un formulaire rempli pour obtenir un statut, une porte ouverte pour accueillir, un mot traduit pour apaiser une peur.
La paix, ce n’est pas qu’un traité signé dans la boue des tranchées. C’est ce que nous faisons, ici et maintenant, pour que plus personne n’ait encore à s’y enfoncer.
Se souvenir, c’est résister à l’indifférence. C’est entendre, dans chaque prénom venu d’ailleurs, un écho de ce soldat inconnu que l’on honore tant. C’est rappeler que les frontières se dessinent parfois dans les esprits bien avant les cartes. Et que notre mission, au CRI Charleroi, est d’effacer ces lignes invisibles, pour rendre l’humanité indivisible.
Chaque 11 novembre, nous commémorons la fin de la Grande Guerre et rendons hommage aux soldats tombés pour la liberté. Mais derrière les rangées de croix blanches, reposent aussi, souvent dans l’anonymat des fosses communes, des milliers d’hommes arrachés à leurs terres par les empires coloniaux. Ils ont combattu dans la boue des tranchées, loin de chez eux, pour une patrie qui n’était pas la leur. Leurs noms manquent parfois sur les monuments, leurs histoires se sont diluées dans une mémoire nationale qui les a longtemps invisibilisés. Pourtant, ces sépultures silencieuses racontent une vérité essentielle : la guerre de 14-18 fut mondiale, et la paix que nous célébrons aujourd’hui porte aussi leur visage.
Pour le CRI Charleroi, se souvenir de ces combattants oubliés n’est pas seulement un devoir historique, c’est un engagement éthique. C’est reconnaître que notre mémoire collective est faite de diversités, de sacrifices partagés et de destins entremêlés. C’est refuser que certains morts restent dans l’ombre au nom de l’origine ou de la couleur de peau. En redonnant une place à ces soldats coloniaux, nous ouvrons un espace de justice, de respect et de dialogue avec le présent. Car honorer leur mémoire, c’est aussi affirmer aujourd’hui que toute dignité mérite d’être reconnue, et que la paix n’a de sens que si elle se construit dans l’égalité de tous les souvenirs.
À ceux qui pensent que les commémorations appartiennent au passé, nous répondons qu’elles appartiennent à ceux qui, comme nous, choisissent chaque jour de croire à la rencontre plutôt qu’au repli identitaire.
Pour nous, l’armistice du 11 novembre n’est pas qu’un souvenir. C’est une promesse. Une promesse de fraternité, de solidarité, de citoyenneté.
Car la paix n’est pas un arrêt des combats. C’est un début.
Fabrice CIACCIA, Directeur du CRI Charleroi






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