
Il y a des mots, des phrases, qui pèsent plus lourdement que d’autres comme « Conditionner le revenu d’intégration des immigré.e.s”, par exemple. Derrière la technicité administrative, on sent poindre le soupçon. Ce soupçon, c’est celui d’un État qui ne fait pas confiance et qui contrôle. Un État qui mesure la dignité à l’aune d’une « bonne intégration » réinventée.
Anneleen Van Bossuyt, ministre de la Migration (N-VA), veut lier l’aide sociale des immigrés à leur « niveau d’intégration » : parler une langue nationale, avoir un emploi, s’inscrire dans “les valeurs du pays”.
Dit autrement : si tu n’as pas les codes, tu perds ton filet de sécurité.
La violence symbolique. C’est lorsque les normes dominantes les « codes » sont imposées comme naturels, de sorte que ceux qui ne les maîtrisent pas sont désavantagés sans que cela paraisse injuste. Le système « punit » implicitement ton manque d’adaptation culturelle.
Et si tu dors dans la rue, c’est que tu n’as pas assez appris à conjuguer « s’intégrer ».
Le revenu d’intégration est une aide de dernier recours. C’est ce qu’on accorde quand tout le reste a échoué. La conditionner, c’est transformer la solidarité en récompense. Comme si la pauvreté, déjà stigmatisée, devait en plus se justifier.
Sous couvert, d’encourager les gens à apprendre, à travailler on sanctionne. On pénalise. On exclut.
Et demain ? On conditionnera quoi ? Les soins de santé ? Le droit au logement ? La scolarité des enfants ?
La ministre dit que la Belgique « n’est plus le pays de l’accueil généreux et sans conditions ». Mais quand la condition exclut, où est l’intégration. Dans nos structures, on ne compte plus les visages fatigués. Tous cherchent un peu d’air dans un système qui les essouffle. Les travailleurs sociaux savent bien que s’intégrer ne se décrète pas : ça s’accompagne, ça se construit, ça prend du temps.
Et ce temps, la politique, elle, ne veut plus le prendre.
Sur le terrain social, d’ici, on sait que pendant qu’on parle d’« effort d’intégration », certains font la queue pour un colis alimentaire. Pendant qu’on veut « responsabiliser », d’autres n’ont même pas de toit pour apprendre les verbes irréguliers.
Alors oui, il faudra bien un jour reparler d’intégration mais pas avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Fabrice CIACCIA, Directeur du CRI Charleroi
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