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SAUDADE #37 : Regroupement familial en Belgique : l’étau se resserre

En ce mois de juillet 2025, alors que la Belgique bénéficie du soleil estival, un changement discret mais significatif s’opère dans le domaine du droit des étrangers. Le regroupement familial fait l’objet d’une série de modifications réglementaires qui, sans être spectaculaires, traduisent une restriction progressive du droit à vivre en famille.

Depuis plusieurs années déjà, les conditions d’accès au regroupement familial en Belgique sont soumises à des exigences croissantes : preuve de ressources stables, logement suffisant, assurance santé, cohabitation réelle.

Le cadre légal autorise une certaine marge de manœuvre aux autorités, et c’est précisément dans cette zone grise que s’engouffrent les récents changements.

Entrées en vigueur ce mois-ci, plusieurs mesures redéfinissent les modalités de mise en œuvre du droit au regroupement familial. La plus marquante est sans doute la hausse du seuil de revenus requis pour introduire une demande :

alors que 120 % du revenu d’intégration constituait jusque-là la norme,
ce taux passe désormais à 140 %.

Un ajustement qui semble mineur sur le papier mais qui exclut, en pratique, une frange considérable de la population : travailleurs précaires, intérimaires, allocataires sociaux ou personnes en formation se voient ainsi empêchées de faire venir leurs proches, quand bien même leur séjour en Belgique serait régulier et durable.

Dans le même temps, les contrôles liés à la vérification de la vie familiale se renforcent. Les communes sont appelées à multiplier les enquêtes domiciliaires inopinées, avec un zèle parfois disproportionné, notamment à l’égard des couples mixtes ou issus de la migration subsaharienne ou maghrébine.

Il ne s’agit plus seulement de prouver une adresse ou un contrat de bail, mais bien d’exhiber l’intimité du foyer à l’examen administratif, comme si toute relation familiale était suspecte par défaut. Cette dynamique s’accompagne d’un élargissement du contrôle post-regroupement : désormais, pendant cinq ans, l’Office des Étrangers peut retirer le droit de séjour si la vie commune prend fin, y compris en cas de rupture liée à des violences conjugales, situation dans laquelle les victimes sont souvent mises en accusation et sommées d’apporter des preuves difficiles, voire impossibles, à fournir.

Le discours politique, quant à lui, reste soigneusement calibré. Ces réformes seraient des mesures de « bon sens », visant à prévenir les abus, à encourager l’autonomie économique et à garantir une « intégration réussie ». Mais cette rhétorique mérite d’être interrogée. Car derrière l’invocation de l’intégration, c’est bien une politique de sélection sociale qui se dessine, où seuls les profils jugés économiquement utiles ou conformes à certaines normes culturelles peuvent prétendre à vivre en famille. Le droit devient conditionné, fragmenté, hiérarchisé. Le regroupement familial, qui devrait être l’expression d’un lien humain fondamental, devient un privilège réservé à ceux qui cochent toutes les cases d’une citoyenneté implicite.

Les associations, dont le CRICharleroi, dénoncent depuis plusieurs mois une dérive inquiétante. Le droit au regroupement familial, dernier canal encore ouvert pour une migration régulière dans de nombreux cas, est aujourd’hui cerné par des exigences de plus en plus éloignées de la réalité des personnes concernées. On assiste à une suspicion systémique envers les familles étrangères, assimilées à des fraudeurs potentiels. Or, ce traitement différencié, profondément inégalitaire, mine les fondements mêmes d’un État de droit. À cela s’ajoute un contexte européen tendu, où plusieurs États membres de l’Union durcissent leur législation dans une logique de repli identitaire, renforçant une Europe forteresse qui s’éloigne de ses engagements en matière de droits fondamentaux.

Des recours sont en cours devant les juridictions belges, et la Cour européenne des droits de l’homme a récemment accepté d’examiner une affaire belge liée à la rupture d’un séjour octroyé dans le cadre d’un regroupement familial. Ces contentieux mettront à l’épreuve la robustesse des garanties juridiques face à un durcissement politique devenu structurel.

En attendant, il nous revient, aux acteurs associatifs, aux juristes et aux citoyens engagés de rester vigilants, de documenter les pratiques et de faire entendre les voix de celles et ceux dont la vie familiale est fragilisée, non par la distance, mais par la loi.

À l’heure où le vivre ensemble est convoqué dans chaque discours, la manière dont une société traite les familles étrangères en dit long sur sa conception de l’égalité.

Le regroupement familial est, pour beaucoup, la condition d’une vie digne !

Fabrice Ciaccia, Directeur du CRI Charleroi

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