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SAUDADE#35 Patrice LUMUMBA, la Belgique face au procès de sa mémoire coloniale

Patrice Lumumba

En ce mois de juin 2025, la Belgique se trouve à un tournant historique.  À Bruxelles, le parquet fédéral requiert la tenue d’un procès pour l’assassinat de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo indépendant, exécuté le 17 janvier 1961 aux côtés de Joseph Okito et Maurice Mpolo.

Soixante-cinq ans après ce crime politique majeur, la justice belge pourrait enfin se saisir pleinement de sa responsabilité. Mais ce moment dépasse de loin une simple décision judiciaire : il oblige la Belgique à affronter son passé colonial, à déconstruire les mythes de la « mission civilisatrice » et à reconnaître la violence structurelle qui a façonné ses relations avec le Congo.

Durant des décennies, la figure de Lumumba a été diabolisée dans les récits officiels. Le récit dominant cherchait à effacer, voire à criminaliser, son combat pour la souveraineté congolaise et la fin de l’ordre colonial. Cette tentative d’effacement fut à la fois physique, brutale et mémorielle. 

La mémoire de Lumumba a été muselée, son héritage politique travesti. Pourtant, cette entreprise a échoué. Grâce à la ténacité de sa famille, des militant·e·s, des collectifs anticolonialistes et de chercheur·euse·s, le nom de Lumumba est aujourd’hui devenu synonyme de dignité et de résistance.

Les excuses officielles de l’État belge en 2022, passant notamment par la restitution symbolique de la dépouille de Lumumba ont marqué des étapes importantes. Mais elles laissent un goût d’inachevé. Car sans reconnaissance judiciaire, sans procès, sans réparations concrètes, ces paroles ne suffisent pas : elles restent suspendues dans un vide de justice.

Le possible renvoi devant un tribunal d’Étienne Davignon, dernier survivant des dix personnalités belges visées par la plainte déposée par la famille Lumumba, ouvre la voie à ce que pourrait être un vrai début de justice. Ce procès ne saurait être celui d’un homme seul, mais bien celui d’un système : celui de la domination coloniale, des complicités de l’État belge, des intérêts économiques qui ont nourri et soutenu l’élimination d’une figure emblématique de la décolonisation africaine.

C’est là que se joue un autre procès, plus vaste : celui des esprits. Car au-delà des responsabilités individuelles et des décisions judiciaires, ce moment historique nous confronte à un travail collectif indispensable : la décolonisation des esprits.

Décoloniser les esprits, ce n’est pas seulement se souvenir du passé. C’est se libérer des représentations héritées de la colonisation : ces récits tronqués qui justifiaient la domination au nom du progrès ; ces stéréotypes qui continuent d’alimenter le racisme structurel ; ces hiérarchies invisibles qui organisent encore nos sociétés.

Chaque citoyen doit pouvoir être acteur de sa propre histoire.  Il s’agit de retrouver une parole propre, de reconquérir un pouvoir d’agir, de construire un vivre-ensemble fondé sur la reconnaissance réciproque et la dignité.

En ce mois de juin 2025, la Belgique est à la croisée des chemins : fuir encore la vérité, ou engager un processus réel de justice, de réparation et de transformation des consciences. Le procès de Lumumba pourrait marquer un début : celui d’une société qui ne se contente pas de gestes symboliques, mais qui s’attaque enfin aux racines des inégalités héritées du colonialisme.

Fabrice CIACCIA, Directeur du CRI Charleroi

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