
Il y a des commémorations qui résonnent au-delà des discours officiels. Des dates qui, derrière leur solennité institutionnelle, invitent à un retour vers l’intime, vers l’humain. Les 60 ans des accords bilatéraux entre la Belgique et le Maroc, entre la Belgique et la Turquie, sont de celles-là. Ce sont des moments qui nous rappellent qu’avant d’être des pages dans les manuels, l’immigration est une somme d’exils, de courage silencieux, d’adaptations douloureuses et d’enracinements progressifs.
Le texte de Sebastian Van Geel porte ce regard essentiel : un regard incarné, à hauteur d’hommes et de femmes. Il ne dresse pas un bilan chiffré de décennies d’immigration. Il invite à une mémoire partagée, tissée de visages, de gestes, de silences.
Sébastian évoque une génération d’hommes partis jeunes – parfois trop jeunes – qui ont laissé derrière eux des mères inquiètes, des épouses dévouées, des enfants qui grandiraient souvent sans leur père à leurs côtés. Ces hommes, pour beaucoup, ont découvert un pays rude, des conditions de travail souvent indignes et une société qui n’était pas toujours prête à les accueillir. Et pourtant, ils ont tenu, ils ont bâti, ils ont semé.
Dans le texte de Sébastian, ce qui me frappe, c’est la sensibilité avec laquelle Sébastian relie les parcours individuels à une histoire collective. Il parle de la force du lien : celui qui unit les générations, celui qui rassemble les voisins, celui qui dépasse les origines et les appartenances pour constituer un « nous » commun. À travers les funérailles, les repas partagés, les lieux de culte respectés, c’est un récit de fraternité ordinaire qui se dessine.
La commémoration des 60 ans ne doit pas seulement être un regard vers le passé. Elle doit être un miroir tendu au présent : que faisons-nous aujourd’hui de cet héritage ? Avons-nous appris de ces parcours d’exil et de courage ? Sommes-nous capables d’honorer cette mémoire en construisant un vivre-ensemble réellement égalitaire et respectueux ?
Sébastian le souligne : les enfants de ces mineurs, de ces ouvriers des premières heures, sont aujourd’hui des citoyens à part entière. Ils sont la Belgique d’aujourd’hui et de demain. Mais le respect, la transmission, la mémoire sont des chantiers toujours à poursuivre.
En rendant hommage aux communautés marocaine et turque, Sébastian rappelle avec justesse que l’histoire migratoire belge est plurielle : Italienne, espagnole, grecque, polonaise, congolaise, roumaine, syrienne et bien d’autres encore. Chacune de ces histoires a contribué à forger la richesse humaine de nos villes, de nos quartiers, de notre pays.
Il nous appartient de faire de ces commémorations non pas de simples célébrations symboliques, mais des moments de reconnaissance sincère. Et surtout, des points de repères pour continuer à bâtir une société plus juste.
Alors, comme le fait Sébastian avec pudeur: disons merci. Merci à celles et ceux qui ont semé, souvent dans l’ombre, pour que nous puissions récolter un peu plus de dignité, un peu plus d’humanité. Et engageons-nous à faire vivre ces legs au CRI Charleroi et partout ailleurs…
Fabrice CIACCIA, Directeur du CRI Charleroi
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