
La bascule silencieuse : FRONTEX.
Quand la sécurité prend l’ascenseur, le droit descend les escaliers.
À une époque où les mots « sécurité » et « ordre » sont invoqués comme des totems, il y a des décisions administratives qui claquent comme des portes qu’on referme sur nos libertés.
Depuis le 1er juin, la Belgique a officiellement ouvert la sienne à Frontex, l’agence européenne de garde-frontières. Non pas pour un séminaire, une mission d’observation ou un soutien logistique. Non. Frontex débarque et est désormais habilitée à exercer des missions de police sur le sol belge. Des agents, étrangers, armés, autorisés à contrôler, interpeller, voire détenir. Le tout dans un cadre légal validé discrètement, loin des projecteurs, sans débat public digne de ce nom. La souveraineté policière sous-traitée à une structure opaque. Pendant que la sécurité prend l’ascenseur express, le droit, lui, descend les escaliers. À reculons. Et menotté. Aéroports, ports, gares internationales, centres fermés : ces « zones sensibles » deviennent des zones floues. Floues sur qui agit, floues sur qui décide, floues sur qui répond des abus.
Rappelons, car il le faut : Frontex traîne un passé qui n’est pas un détail. Soupçons de complicité dans des refoulements illégaux (pushbacks), entraves à des enquêtes, traitements dégradants, opacité financière, conflits d’intérêts. Le tableau est connu.
En 2022, le directeur a été contraint de démissionner, suite à une enquête accablante de violation des droits fondamentaux. Aujourd’hui, l’agence est désormais habilitée à exercer une autorité policière en Belgique. Un organisme au passé trouble qui s’invite dans nos dispositifs sécuritaires. Quand il s’agit de migrants, on laisse faire.
Le plus troublant dans cette affaire n’est pas seulement la décision en soi mais la manière dont elle est passée : un Arrêté Royal, peu médiatisé, peu débattu, adopté en période de flottement politique. Tout est fait pour anesthésier la conscience collective. Et cela marche. Car une fois installée dans les routines administratives, cette présence policière étrangère deviendra une norme. Une banalité. Une évidence sécuritaire.
Mais à quelles conditions démocratiques obéit cette évidence ? Qui contrôle ? Qui répond ? Qui rend compte ? Quand un agent Frontex commettra un abus, sur qui portera la plainte ? Sur la Belgique ? Sur l’agence ? Sur personne ? Et quelle justice pourra être rendue, quand déjà les violences policières internes peinent à être reconnues, poursuivies, réparées ? Et que dire du quotidien ? De ces contrôles menés par des agents ne parlant ni les langues nationales, ni celles des personnes qu’ils ciblent ? Quelle protection, pour qui, dans quel but ?
Ce n’est pas une faille, c’est une politique. Il faut arrêter de croire que ces décisions sont des erreurs de parcours. Elles sont cohérentes avec un glissement général : celui d’une Europe qui ne pense plus la migration en termes de dignité, de droits, d’humanité, mais en termes de menace, de chiffres, de dispositifs techniques à déployer contre des « flux » – jamais contre des personnes.
La présence de Frontex en Belgique légitimise une externalisation autoritaire de la gestion migratoire. Au lieu de renforcer nos dispositifs, on choisit d’y adjoindre un acteur plus difficile à contrôler et encore plus déshumanisant dans sa logique opérationnelle.
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. L’Arrêté Royal est là, en ligne. Il ne s’agit pas d’une dystopie imaginaire. C’est la nouvelle réalité légale en Belgique ! On ne peut que le déplorer et le dénoncer.
Fabrice CIACCIA
Directeur du CRI Charleroi
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