Le 8 mai 1945 marque pour l’Europe et la France la fin d’un cauchemar : la Seconde Guerre mondiale prend fin en Europe avec la capitulation de l’Allemagne nazie. Cette date reste, encore aujourd’hui, un jour de commémoration officielle. Les rues de nombreuses villes françaises furent envahies par la joie, les drapeaux et les chants. Mais pendant que la France célébrait la liberté retrouvée, une autre page de son histoire s’écrivait dans la douleur, de l’autre côté de la Méditerranée.
En Algérie, alors colonie française depuis plus d’un siècle, la situation était bien différente. Ce même jour, dans plusieurs villes du nord-constantinois ; notamment à Sétif, Guelma et Kherrata ; des manifestations ont lieu. Des milliers d’Algériens, certains portant des pancartes réclamant l’indépendance ou simplement l’égalité des droits, descendent dans la rue, croyant que la victoire contre le nazisme ouvrirait une nouvelle ère, celle de la liberté pour tous. Mais le rêve se brise brutalement.
À Sétif, les choses dégénèrent rapidement. Une altercation avec la police coloniale déclenche une flambée de violences. La répression qui suit est d’une extrême violence, bien au-delà de la réponse à ces meurtres. Pendant plusieurs semaines, l’armée française, appuyée par des milices coloniales, mène une répression sanglante. Bombardements de villages, arrestations arbitraires, exécutions sommaires : des milliers d’Algériens sont tués. Les estimations varient : les autorités coloniales parlaient de 1.500 morts, mais des historiens avancent le chiffre de 20.000 à 45.000 victimes.
Pourquoi une telle violence ? Parce que la France, encore sonnée par la guerre, refuse d’admettre que ses propres colonies aspirent à l’autodétermination. Le message est clair : il n’y aura pas de place pour les revendications indépendantistes. Ce 8 mai 1945, si porteur d’espoir pour les uns, devient le symbole d’une fracture profonde.
Aujourd’hui encore, ces événements font débat. Longtemps passés sous silence, ils n’ont été évoqués dans les manuels scolaires que bien tardivement. La reconnaissance officielle de cette répression est récente et partielle. Mais le travail de mémoire reste fragile et inachevé.
Ce double 8 mai nous rappelle que l’histoire est plurielle. Il est possible de célébrer la victoire contre le nazisme tout en reconnaissant les souffrances infligées à d’autres. Comprendre et enseigner ces faits, c’est aussi rendre justice à celles et ceux dont la voix a été longtemps étouffée. C’est un pas vers une mémoire partagée, fondée sur la vérité et la dignité.
Fabrice CIACCIA
Directeur du CRIC