
Le 8 novembre dernier, notre ciné-club s’est réuni pour une séance marquante autour du film Soumaya. Ce fut un moment d’échange intense sur les dérives des politiques sécuritaires mises en place après les attentats de 2015. À travers cette œuvre, nous avons pu déconstruire la manière dont certaines mesures, censées protéger la population, ont entraîné des restrictions inquiétantes des libertés individuelles.
Les attentats de 2015 à Paris ont ouvert une période de durcissement des politiques sécuritaires, tant en France qu’en Belgique. L’état d’urgence instauré en réponse aux attaques a permis la mise en place de mesures exceptionnelles : assignations à résidence, perquisitions administratives sans contrôle judiciaire, interdiction de manifestations… Tout cela devait être temporaire, mais ces restrictions ont progressivement été intégrées au droit commun. Ce basculement a normalisé une approche où la suspicion prime sur la présomption d’innocence, et où certaines populations, en particulier musulmanes, se retrouvent stigmatisées et surveillées de manière disproportionnée.
Dans ce climat de défiance, la surveillance de masse a explosé. Les analyses de comportements en ligne, l’interception de communications et la multiplication des caméras ont transformé nos sociétés en espaces sous haute surveillance. Des dispositifs comme l’opération Sentinelle en France ou le déploiement de patrouilles militaires en Belgique ont contribué à renforcer cette impression d’un contrôle omniprésent.
Ce vendredi 17 janvier, nous avons accueilli Fayçal Cheffou, journaliste et lanceur d’alerte bruxellois. Son témoignage puissant a suscité un échange record de plus de quatre heures, révélant à quel point son histoire résonne avec les préoccupations actuelles. L’histoire de Fayçal Cheffou est un symbole des dérives sécuritaires.
Fayçal Cheffou, journaliste indépendant, s’intéressait aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique lorsqu’il s’est retrouvé pris dans une des erreurs judiciaires les plus marquantes de ces dernières années. À la suite des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, il est arrêté et accusé à tort d’être « l’homme au chapeau », l’un des terroristes de l’aéroport de Zaventem.
Cette erreur repose sur plusieurs éléments fragiles : la mauvaise qualité des images de vidéosurveillance, une parade d’identification mal conduite où un témoin l’a confondu avec le suspect, avant de se rétracter en expliquant qu’il avait subi de fortes pressions des autorités. Ces dernières cherchaient avant tout un coupable, quitte à ignorer les preuves disculpant Fayçal Cheffou.
Dès son arrestation, son nom et sa photo font la une des médias internationaux. Un engrenage judiciaire et médiatique se met en place. Ce déferlement médiatique le condamne avant même qu’une enquête sérieuse ne soit menée. Pire encore, il subit des violences de la part des forces de l’ordre : frappé, humilié, menacé de mort, un policier allant jusqu’à lui mettre un pistolet chargé sur la tempe. En prison, il est traité de façon inhumaine : privé de ses affaires, laissé avec un rasoir comme une sinistre invitation au suicide.
Finalement innocenté après une détention arbitraire, Fayçal Cheffou restera marqué à vie par cette épreuve. Pendant plus de cinq ans, il a dû affronter les répercussions de cette injustice : stigmatisation, perte de crédibilité professionnelle, difficulté à reconstruire une vie normale.
Lors de cette soirée inoubliable, notre invité a partagé avec nous une réflexion profonde et nuancée sur la manière dont les États gèrent la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Son témoignage a mis en lumière l’impact humain de ces politiques et la nécessité d’une vigilance citoyenne face aux dérives de l’État sécuritaire.
Aujourd’hui, Fayçal Cheffou ne se laisse pas définir par cette tragédie. Il a fondé une structure de journalisme indépendant pour continuer à enquêter sur des affaires où des fonctionnaires de l’État sont impliqués, souvent conclues par des non-lieux. Son engagement témoigne de sa résilience et de sa volonté d’apporter de la lumière sur les abus d’un système où l’arbitraire peut frapper n’importe qui.
Cette rencontre nous a permis de poser une question essentielle : jusqu’où sommes-nous prêts à aller au nom de la sécurité ? Peut-on accepter un monde où les libertés fondamentales sont sacrifiées sur l’autel du soupçon permanent ?
Nous avons quitté cette soirée avec la conviction qu’il est impératif de rester vigilant, d’interroger les choix politiques qui façonnent nos sociétés et de refuser toute forme d’injustice, même lorsqu’elle se pare des atours de la protection collective.
En fin de compte, un avenir plus juste passe par une prise de conscience collective. Fayçal Cheffou, par son courage et son engagement, nous rappelle que le combat pour les droits humains est plus que jamais nécessaire.
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