Communication, Le CRIC

Le mémorandum des centres régionaux d’intégration prêt à influer sur les acteurs du nouveau paysage politique

La marée noire de l’extrême-droite qui a déferlé sur la Flandre lors du récent scrutin, provoquant un séisme jusqu’au sud du pays, l’a prouvé à suffisance : la vigilance est plus que jamais de mise face aux poussées racistes et xénophobes. En Wallonie, les huit centres régionaux d’intégration (CRI, en abrégé) avaient précédé la menace en rédigeant conjointement un mémorandum d’une cinquantaine de pages rappelant leurs priorités à la veille des élections fédérales, régionales et communautaires. Un document dont ils comptent à présent relayer les lignes de force auprès des acteurs politiques qui dirigeront la Wallonie durant les prochaines années.

Les centres régionaux d’intégration ne font pas mystère de la philosophie qui sous-tend leurs actions, puisqu’il s’agit de l’essence-même des missions pour lesquelles ils ont été créés. Leur credo demeure l’inclusion et l’intégration des personnes étrangères et d’origine étrangère. Cette priorité absolue se traduit en une série d’axes de travail qui, outre la lutte contre le racisme, sont l’information et la sensibilisation de la société d’accueil, la formation renforcée des agents des services publics, le soutien des opérateurs et la préservation des droits fondamentaux de toutes les personnes immigrées, reconnues comme réfugiées ou non, sur le territoire de la Wallonie.

Un panorama en quinze chapitres

Les prochaines semaines, pour ne pas écrire les prochains mois, risquent d’être tendus pour la formation des nouvelles coalitions qui dirigeront le pays et la Wallonie. À l’aube de ce marathon de négociation des alliances et de peaufinage de l’action politique, publique et associative, qui conditionneront la prochaine législature, les centres régionaux d’intégration ne comptent pas être absents du débat. Que du contraire ! Forts de leur cahier de priorités, ils comptent mettre en avant les constats et recommandations qui apparaissent comme les pistes pour tendre vers leurs objectifs.

Le mémorandum des CRI se découpe en quinze chapitres, balisant les thématiques majeures comme l’interculturalité, l’éducation, l’enseignement et la formation, la santé, l’emploi, le logement, la politique d’intégration, le financement du secteur et l’autonomie associative. Il est évidemment impossible d’évoquer dans leur intégralité les items repris dans ce document, mais il est important de souligner que leur portée vise le bien-être de tous dans la société. Car une partie des difficultés rencontrées par les personnes étrangères ou d’origine étrangère sont identiques à celles vécues par la totalité des citoyens de la région. Problèmes d’accès à l’emploi, au logement ou aux soins de santé, problèmes de mobilité dans les zones rurales, problèmes de garde des enfants en bas âge, problèmes de discrimination qui s’appliquent tout autant à l’âge, au handicap, à l’orientation sexuelle, etc. qu’à l’origine, les terrains de lutte sont nombreux.

Pour les personnes étrangères ou d’origine étrangère s’y ajoutent des problèmes spécifiques liés à la langue, à la méfiance qu’elles suscitent, voire aux stéréotypes dont elles sont victimes, et même, ce n’est pas une surprise, les problèmes de discrimination et de racisme liés notamment à la couleur de peau, à la nationalité ou aux convictions religieuses. Ces problèmes spécifiques se répercutent dans tous les domaines de la vie, dans la recherche d’un emploi, sur le lieu de travail, dans la recherche d’un logement, dans la scolarité, etc. Pour les CRI, la politique d’intégration ne se réduit pas à la mise en place d’un parcours d’intégration pour les primo-arrivants. Elle doit comporter une vision plus ambitieuse et plus globale. Celle-ci passe par le renforcement des initiatives et structures existantes, dont les associations d’immigrés, dans leur rôle de premier accueil, de travail de mémoire et de co-développement.

Formation, éducation et petite enfance

Plusieurs mesures phares concrètes sont souhaitées par les centres régionaux d’intégration. Sans établir d’échelle de valeurs et de priorité, citons-en quelques-unes dans divers domaines. Dans le secteur de la formation des adultes, les CRI encouragent notamment La Wallonie à soutenir les petits opérateurs de Français Langue étrangère et de formation à la citoyenneté dans le cadre du parcours d’intégration. En termes d’éducation, ils incitent aussi la Fédération Wallonie-Bruxelles à mettre en place les dispositifs nécessaires à l’apprentissage et à l’enseignement des compétences interculturelles.

Au niveau de l’enseignement, les CRI recommandent de mener une politique en matière de scolarité qui soit plus inclusive notamment vis-à-vis des primo-arrivants, de proposer des systèmes d’enseignement et des approches pédagogiques répondant davantage à la réalité des élèves issus de communautés très diverses et de renforcer l’accent sur la maîtrise de la langue française. Ils sollicitent aussi différentes mesures concernant l’équivalence des diplômes, allant entre autres dans le sens d’un assouplissement et de la gratuité. En ce qui concerne la petite enfance, les centres veulent une valorisation de l’autonomie de fonctionnement des haltes-accueil, le développement de pratiques souples au-delà des règles imposées, des procédures administratives simplifiées, et la promotion et l’élargissement de la formation à la dimension interculturelle.

Santé, logement et mobilité

Sur le plan de la santé, les CRI attirent l’attention sur la situation des sans-papiers et des migrants en transit, demandant en sus à La Wallonie de reconnaître les personnes en séjour irrégulier comme pouvant faire irrégulièrement partie des politiques d’intégration. Au niveau de l’emploi, les CRI souhaitent que La Wallonie améliore l’accessibilité au dispositif de validation des compétences, rende le dispositif plus accessible aux publics fragiles et continue à centrer la validation sur les métiers-mêmes, sans oublier le maintien des Cellules Migrants du Forem. Dans le secteur du logement, les CRI exhortent, par exemple, La Wallonie à créer un fonds universel de garanties locatives pour tous les locataires wallons, à faciliter l’accès des réfugiés aux logements sociaux, à renforcer les moyens à disposition des associations d’insertion par le logement et à encourager les expériences innovantes de logement pour les réfugiés à la sortie des structures d’accueil.

En matière de mobilité, les centres régionaux allient les mesures en faveur des usagers et des opérateurs. Pour les premiers, ils demandent notamment d’harmoniser l’aménagement du territoire avec la mobilité pour faire correspondre zones d’habitat et offres de mobilité, d’implanter des pôles d’information en mobilité, de faciliter l’intervention d’un traducteur pour les non-francophones lors de l’examen du permis théorique ou d’encourager le co-voiturage et les mobilités alternatives. Pour les seconds, les recommandations concernent le financement de la mobilité inclusive et solidaire, l’encouragement des solutions de mobilité innovante, l’amélioration de l’infrastructure et de l’offre en zone rurale, et la démocratisation de la formation pratique à la conduite. Les CRI sollicitent aussi la prise en charge des frais de déplacement liés au parcours d’intégration, quel que soit le statut des personnes concernées.

Interprétariat, asile et accueil

Les centres régionaux d’intégration mettent également en exergue une série d’avancées relatives aux publics spécifiques auxquels ils s’adressent. Sur la question de l’interprétariat, ils recommandent de renforcer l’offre d’interprétariat social et le panel de langues disponibles, d’évaluer constamment les besoins en langues suivant l’évolution des flux migratoires, de former les interprètes au secteur dans lequel ils sont actifs, de rendre moins onéreux l’accès à cette offre et de créer un statut d’interprète. Concernant la politique d’asile et d’accueil, ils demandent d’appliquer le Règlement Dublin III de manière souple, humaine et solidaire.

Dans ce cadre, ils recommandent de mettre fin au traitement différencié des demandeurs de protection et de garantir un recours effectif à toutes les personnes demandant une protection internationale. Comment ? En supprimant les différentes catégories de demandeurs de protection, mais aussi en maintenant les mêmes garanties procédurales pour tous les demandeurs. En supprimant la notion de « premier pays d’accueil » et de « pays tiers sûr » qui mettent en œuvre l’externalisation de l’asile. En ne considérant pas de manière systématique l’intention frauduleuse en cas d’introduction d’une demande multiple. En prévoyant un délai de recours suffisant permettant à chaque demandeur de protection d’introduire valablement et qualitativement un recours en justice. Enfin, en prévoyant un effet suspensif automatique aux recours contre des décisions d’éloignement quand il existe un risque de torture, de traitement inhumain ou dégradant.

Voies légales et accueil pérenne

Les centres régionaux souhaitent aussi que soient ouvertes des voies légales et sûres et que soient accordés davantage de visas humanitaires et de réinstallation. Ils veulent donc voir augmenter et faciliter la délivrance de visas humanitaires à des personnes en besoin de protection, avec des critères clairs et transparents, et voir respecter les engagements en matière de réinstallation, en augmentant les quotas annuels de réfugiés à réinstaller. Les CRI recommandent de même de permettre un réel accès à la protection et de créer des centres d’accueil et d’orientation (CAO, en abrégé) pour les migrants en transit. L’idée sur ce point serait de renforcer l’accès à l’information notamment sur les droits d’asile, de soutenir les initiatives développées par les ONG et les collectifs de citoyens, et de financer la prise en charge des migrants en transit.

Dans le but de garantir un système d’accueil pérenne pour tous les demandeurs de protection internationale, les CRI proposent notamment de respecter et mettre en œuvre le pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, d’assurer un accueil à tous les bénéficiaires de l’accueil, d’intégrer l’accueil des MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés) dans le modèle, de limiter autant que possible l’accueil d’urgence et de prendre en compte la vulnérabilité particulière et la situation médicale grave des personnes. Les centres veulent aussi maintenir la protection des asbl en interdisant les rafles policières dans les lieux associatifs et refuser la criminalisation de la solidarité citoyenne.

Une conférence interministérielle permanente

Les centres régionaux souhaitent l’organisation d’une conférence interministérielle permanente sur la migration et l’intégration, en y incluant le ministre fédéral et les ministres des entités fédérées comptant l’intégration dans leurs compétences. Les CRI recommandent de plus au gouvernement fédéral de faire de la lutte contre la traite des êtres humains une priorité sur le terrain, en octroyant aux services de police et magistrats les moyens nécessaires, en renforçant les formations des services de première ligne, en veillant à ce que cette lutte reste une priorité de l’ONSS, en instaurant au sein du Parlement une instance chargée du suivi de cette thématique et en assurant aux centres d’accueil des victimes de cette traite des moyens durables et stables.

Enfin, en matière de politique globale d’intégration au niveau régional, les CRI recommandent d’articuler le parcours d’intégration des primo-arrivants dans une approche multidimensionnelle du « mieux vivre ensemble », d’articuler les actions visant ce public spécifique dans les différentes politiques wallonnes et de veiller à la cohérence et à la transversalité avec les compétences relevant des autres niveaux de pouvoir. Nul doute que l’ensemble de ces mesures seront au cœur de contacts sollicités par les centres régionaux d’intégration auprès des nouveaux acteurs politiques dans de très brefs délais.

Dominique Watrin, PUBLIÉ 4 JUIN 2019

La version complète du Mémorandum Elections 2019 Les priorités des CRI (centres régionaux pour l’intégration des personnes étrangères) est disponible et téléchargeable sur le site du Discri (Dispositif de concertation et d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration de Wallonie) : https://discri.be/?p=541

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