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SAUDADE #39 : Torre Pacheco : l’Espagne confrontée à la convergence toxique de la violence raciste, de la haine virale et de l’impunité politique

À Torre Pacheco, dans la région de Murcie, l’agression violente d’un homme de 68 ans par trois jeunes d’origine nord-africaine a donné lieu à une offensive raciste d’une rare intensité. Ce n’est pas un fait divers. C’est un symptôme.

Ces événements révèlent la dynamique inquiétante d’une société où le racisme trouve dans chaque fait divers un carburant, et dans les silences politiques un terrain fertile.

Ces événements ne relèvent ni du hasard ni de l’exception.  L’incident, filmé et massivement relayé sur les réseaux sociaux, est immédiatement détourné de son contexte et utilisé comme déclencheur d’une offensive raciste préméditée.

En quelques heures, la scène devient virale, transformée en point de ralliement pour les ultras nationalistes. Sur les canaux numériques, les appels à la haine se multiplient. On y lit sans filtre l’incitation à « chasser les immigrés ». Très vite, des groupes organisés et biens connus passent à l’action dans le quartier de San Antonio.

Pendant plusieurs nuits consécutives, des hommes patrouillent, armés de battes, s’en prennent à des commerces maghrébins, menacent les habitants, hurlent des slogans racistes dans les rues. Des violences déguisées en « pseudo justice populaire ».

Face à cette montée de violence, la réponse politique tarde. Il faut attendre plusieurs jours pour voir la Guardia Civil et la police nationale intervenir en nombre.  Des arrestations sont effectuées : les trois jeunes impliqués dans l’agression initiale, mais aussi plusieurs membres de groupes extrémistes, désormais poursuivis pour incitation à la haine et trouble à l’ordre public.

Sur le plan politique, la polarisation est immédiate. Tandis que le gouvernement central accuse Vox d’avoir soufflé sur les braises, la justice régionale ouvre une enquête pour déterminer si le parti d’extrême droite a enfreint la législation sur les crimes de haine. Le ministre de l’Intérieur convoque une réunion de crise pour coordonner la réponse institutionnelle. Mais ces réactions arrivent trop tard. Les dégâts sont profonds. Une peur tenace s’est installée. Un climat d’impunité s’est propagé.

Aujourd’hui, à Torre Pacheco, une tension sourde persiste, la nuit, on y vit dans l’angoisse d’une nouvelle flambée de violence. Beaucoup témoignent de fatigue, d’isolement et de l’impression d’avoir été livrés en pâture. Cette fracture sociale est réelle. Une partie de la population vit sous menace constante, prisonnière d’un racisme devenu revendiqué, décomplexé, organisé.

Ce qui s’est joué à Torre Pacheco n’est ni un accident, ni un cas isolé.

C’est un avertissement.

Un miroir tendu à l’Europe. La mécanique de la haine raciste est désormais bien rodée : un fait divers, une indignation surjouée, une viralisation émotionnelle sur les réseaux, puis l’entrée en scène de groupes extrémistes qui passent à l’acte.

Ce schéma s’inscrit dans un contexte de normalisation croissante des discours racistes.

Nous devons tirer un constat sans ambiguïté : la prolifération des discours stigmatisants dans l’espace public, leur banalisation médiatique et leur récupération électoraliste préparent le terrain aux passages à l’acte. Ces discours ne sont jamais neutres. Ils alimentent les violences. Ils segmentent la société. Ils brisent les liens sociaux et détruisent la démocratie.

La réponse à cette dérive ne doit pas se limiter à des opérations de maintien de l’ordre. Elle doit être globale, politique, sociale, éthique. Il faut condamner sans détour, mais aussi prévenir en profondeur. Cela suppose d’agir sur les causes structurelles, de déconstruire les récits de haine, de briser les alliances tacites entre certains acteurs institutionnels et les discours extrémistes. Cela suppose surtout de garantir à chaque personne, quelle que soit son origine, le droit fondamental de vivre sans peur.

Torre Pacheco est un signal d’alarme.

Ce qui se produit là peut et va se reproduire ailleurs. Rien ne l’empêche. Si les milices identitaires dictent leur loi, elles transformeront nos quartiers en zones de guerre idéologique.

Nous devons appeler à une vigilance démocratique sans relâche, à une solidarité avec les personnes ciblées par les discours et les actes de haine, et à une mobilisation collective pour défendre, le droit à l’égalité, à la dignité et à la sécurité pour toutes et tous.

Fabrice Ciaccia, Directeur

Centre Régional d’Intégration de Charleroi asbl 

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