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Vidéo : les manuscrits de Tombouctou

Une semaine d’activités autour des Manuscrits de Tombouctou, venus tout droit d’Afrique dans la malle de Abdul Wahid Haidara (responsable de la bibliothèque Mohamed Tahar de Tombouctou – Mali) : voici la vidéo réalisée lors des animations, visites de l’exposition et la rencontre thématique du 21 avril. La vidéo est suivie d’un article rédigé par Dominique Watrin (DISCRI).

 

Les manuscrits de Tombouctou : les témoins irremplaçables d’un Islam de savoir et de progrès

L’Islam a été fortement mis à mal, jusque dans ses fondements, suite à tous les attentats terroristes et exactions commises en son nom dans différents points de la planète. Puissant contrepied à ces attaques évoquant une religion barbare contenant, en son sein, les germes des actes inqualifiables perpétrés aujourd’hui, une conférence (doublée d’une exposition temporaire) organisée, il y a peu, par le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi) a remis au centre des attentions une religion de connaissance, d’érudition et de civilisation. Une vision qui bat en brèche la thèse d’une religion de destruction.

Au centre des exposés présentés à Charleroi, les célèbres manuscrits de Tombouctou constituent une mine d’or, tant par leur contenu que par la symbolique qu’ils représentent. Le CRIC a réalisé un véritable coup de maître en parvenant à faire venir, pendant quelques jours, sur son territoire une série de ces documents à la valeur inestimable, accompagnés du responsable de la bibliothèque qui les abrite à Tombouctou. Ces véritables œuvres d’art manuscrites sorties tout droit de l’histoire, exhumés parfois des tréfonds du huitième siècle, attestent d’une double réalité : la culture africaine n’est pas qu’oralité et la ville de Tombouctou a été naguère un centre mondial de culture qui a vu converger nombre de savants et d’érudits, avant d’essaimer des savoirs aux quatre coins du monde, jusqu’en Amérique.

Les témoins d’un islam d’ouverture

Même les plus farouches détracteurs de l’Islam doivent en convenir : Tombouctou, aujourd’hui petite ville du Mali d’un peu plus de 50.000 habitants, a été un carrefour de commerce et de savoir à la jonction de l’Afrique noire et de l’Afrique du Nord. Au cœur des 15ème et 16ème siècles, sa période d’apogée, plusieurs milliers de livres rédigés à Tombouctou ont parcouru le monde pour enrichir les bibliothèques de villes comme Fès, Le Caire ou Cordoue. Ces manuscrits commentés par d’éminents savants noirs africains constituaient un savoir original qui faisait autorité bien au-delà des frontières du Mali. Au 15ème siècle, époque de l’âge d’or de son université, Tombouctou comptait 15.000 habitants, dont un quart d’étudiants attirés par ce pôle intellectuel.

Et la dispersion du savoir élaboré à Tombouctou a été à la mesure de l’enrichissement apporté aux connaissances de l’époque. La copie d’un manuscrit de Tombouctou a, par exemple, été retrouvée en Jamaïque en 1823. D’autres manuscrits ont été trouvés dans les poches d’esclaves révoltés à Salvador de Bahia en 1835. Selon Mohamed Lahmidi, chercheur qui a servi de relais entre le CRIC et Abdoul Wahid Haidara, responsable d’une bibliothèque de Tombouctou, « ces manuscrits ont préservé des héritages connus oubliés, comme ceux de Socrate, Platon, Aristote et Ptolémée qu’on y étudiait ». Un traité pédagogique, dressant notamment les qualités du bon élève, se révèle, dans un autre registre, comme un manuel d’éducation aux préceptes encore résolument modernes aujourd’hui. On trouvait aussi sur place des traités de droit, d’astronomie, de littérature…, un ensemble de connaissances élaborées, conservées et diffusées au départ d’un véritable pôle culturel islamique.

« Dans la région de Tombouctou, on peut trouver 100.000 manuscrits », assure Abdoul Wahid Haidara. Dans sa bibliothèque, l’homme et son équipe ont pu répertorier récemment 2613 manuscrits, ainsi que des milliers d’imprimés anciens. Malheureusement, entre 2012 à 2013, les islamistes ont pris possession de la ville, faisant régner la terreur et procédant à la destruction, et parfois au vol pour financer leurs troupes, de quantités énormes de documents abrités dans les bibliothèques de Tombouctou. « Chez nous, on a perdu plus de 4800 manuscrits, déplore Abdoul Wahid Haidara. Beaucoup ont été brûlés. D’autres ont pu être cachés par les bibliothécaires, souvent au péril de leur vie. Moi, j’ai pu mettre une partie de mes manuscrits à l’abri et je suis parti vivre à 800 km de Tombouctou pendant la période de terreur. De nombreux manuscrits – on estime leur nombre à 80.000 – ont été déplacés durant cette période de chaos, majoritairement à Bamako. »

Les manuscrits de Tombouctou sont aujourd’hui entrés dans une phase d’urgence. Ces livres objets, réalisés par des calligraphes exceptionnels, sont en proie à l’usure du temps. La préoccupation obsessionnelle d’Abdoul Wahid Haidara et de ses collègues est de deux ordres : traduire ces manuscrits – dont le propos est généralement encore éminemment d’actualité – pour restaurer leur dispersion mondiale, mais surtout les cataloguer et les numériser pour assurer leur survie pure et simple. Les plus menacés, selon le bibliothécaire malien, sont ceux déplacés à Bamako. « Le climat là-bas est tout à fait différent de celui de Tombouctou, témoigne-t-il. Il y fait beaucoup plus humide et de nombreux livres ont déjà leurs pages collées et donc illisibles. C’est un véritable désastre ! Mais, pour les sauver, il faut des fonds que nous n’avons pas. L’aide internationale est indispensable. Elle peut être financière, ou simplement logistique ou humaine : par exemple, en formant le personnel local aux techniques de numérisation des documents. » Un défi important car, de l’avis général des intervenants appelés à s’exprimer à Charleroi, le message de ces manuscrits est celui d’un islam d’ouverture dont on parle peu actuellement, loin de l’islam réducteur et « littéraliste » (c’est-à-dire procédant d’une vision étriquée du Coran) qui fait en permanence la « une » des médias.

Une circulation de savoirs

Pour Xavier Luffin, chercheur et professeur à l’ULB, expert en littérature arabe, les manuscrits de Tombouctou ont été au cœur et à la base d’une véritable circulation de savoirs. Passant en revue les différents types de livres nés sur place, le chercheur évoquent d’abord les ouvrages religieux, majoritaires selon lui. Parmi ceux-ci figurent notamment des textes écrits au Proche-Orient, mais lus et commentés à Tombouctou. Mais d’autres, tout aussi importants, relèvent d’une histoire de l’Afrique écrite par les Africains eux-mêmes. Sans oublier ceux qui incarnent la propagation de la civilisation et de l’écriture arabe dans le monde. « Les colonisateurs, explique-t-il, vont comprendre l’importance de l’écriture arabe dans certaines régions. Il existe, par exemple, en Afrique du Sud, des manuscrits Afrikaans… en caractères arabes. Et, inversement, des langues arabes comme le haoussa s’écrivent en caractères latins. En fait, n’importe quel alphabet est adaptable à n’importe quelle langue. C’est juste un choix politique. » Un renversement de perspectives qui ne peut qu’induire une approche nuancée de l’islam…

Dominique Watrin

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