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Les returnees du djihad : une question à régler entre criminalisation et déradicalisation

Les returnees du djihad : une question à régler entre criminalisation et déradicalisation

Quel sort réserver aux combattants et à leurs familles belges partis en Syrie et en Irak ? La question est récurrente depuis que les événements meurtriers qu’on connaît ont secoué et secouent encore cette région du monde. Dans le cadre de sa mission de lutte contre la radicalisation violente, la direction Prévention-Sécurité de la Ville de Charleroi a mis sur pied une importante rencontre thématique autour de cette problématique délicate : « Les returnees et leurs enfants, leur rapatriement et leur traitement judiciaire et pénitentiaire », avec la participation du CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi). Une journée de réflexion et de débat pour entrer dans la complexité d’une question cruciale à laquelle les réponses apportées sont très souvent simplistes et… radicales.

Thomas Renard est chercheur à l’Institut Egmont, un centre de recherche indépendant qui se donne pour mission de poser des ponts entre les mondes de la recherche et de la politique. Spécialiste des questions de terrorisme, il a abondamment étudié la question des returnees, aussi appelés « combattants étrangers », terminologie récente derrière laquelle se cache une réalité qui l’est moins, celle de ceux qu’on appelait autrefois mercenaires ou volontaires.

Dans les années 70, une loi dite « mercenaire » a été instaurée autour de la question des militaires belges qui combattaient avec des forces étrangères, principalement en Afrique centrale. Très critiquée, cette loi n’est pas utilisée aujourd’hui, nécessitant un nouveau cadre législatif. Récemment, l’ONU a lancé un appel à ses États membres afin qu’ils empêchent leurs ressortissants d’aller combattre en Syrie et en Irak, et de criminaliser leur départ. Cette mesure concernant à la fois ceux qu’on nomme les FTF (Foreign Terrorist Fighters), les combattants terroristes étrangers partis sur place, et les HTF (Home Terrorist Fighters), les combattants terroristes restés au pays et opérant sur place, a été adoptée par l’Union européenne et intégrée dans les cadres légaux de la plupart de ses États membres.

Le prisme sécuritaire

Selon les estimations, 41490 adultes sont partis combattre dans des groupes djihadistes, accompagnés de 4640 enfants de combattants étrangers. Parmi ceux-ci figurent environ 1600 personnes originaires de l’Union européenne. Si on compare ces statistiques à celles des précédents conflits djihadistes, il s’agit d’un nombre beaucoup plus élevé. En Afghanistan, entre 1980 et 2000, il y avait approximativement 25000 FTF, dont 1500 Européens, et entre 20 et 80 Belges. En Bosnie, les chiffres étaient de 5000 FTF, 500 Européens et 10 Belges. En Irak, 5000 FTF, 100 Européens et 15 Belges. Et, en Syrie, 40000 FTF dont 5000 Européens et 427 Belges.

Selon Thomas Renard, en Belgique, la problématique des « revenants » est perçue essentiellement à travers le prisme sécuritaire, avec l’idée que, s’ils reviennent, ils peuvent être dangereux. Les premiers de ces individus ont été arrêtés en France, à Cannes, avant que ne surviennent les premiers attentats en Europe : dans l’ordre, ceux de Mehdi Nemmouche au Musée juif de Belgique en mai 2014, puis ceux de Verviers, du Thalys, de Paris en novembre 2015 et de Bruxelles en mars 2016. Il s’agit pour la plupart d’attentats organisés dans les pays en guerre et réalisés sur le sol européen par des HTF, parfois avec l’appui de returnees. Il apparaît que ces attentats ont concernés un petit groupe de returnees connectés entre eux. Statistiquement, 90% des returnees ne deviennent pas terroristes. Et entre 1 et 10% seulement d’entre eux sont impliqués dans d’autres actes de type propagande, etc.

Un facteur social fort

Les 427 FTF venus de Belgique étaient composés de 80% d’hommes, essentiellement âgés entre 20 et 30 ans, citoyens ou résidents belges, et 90% d’entre eux vivaient depuis minimum 10 ans en Belgique. En Syrie, ils étaient 133 partis de Flandre dont 41 sont revenus, 128 partis de Bruxelles dont 67 revenus et 21 partis de Wallonie dont 17 revenus. Le taux de retour est donc inférieur en Flandre par rapport au reste du pays, des chiffres qui s’expliquent entre autres par le fait que certains pays, quartiers et rues ont été plus touchés que d’autres par le phénomène. La radicalisation repose, en effet, sur un facteur social fort : on se radicalise à travers sa famille, ses amis, etc., comme c’est le cas pour des groupes de copains d’enfance partis combattre. Il s’agit, dès lors, d’un phénomène localisé, comportant un « effet social » et reposant sur des recruteurs efficaces dans leur technique de recrutement (Fouad Belkacem, Jean-Louis Denis, etc.).

En Belgique, le chiffre avancé est celui de 131 combattants revenus dont 10 sont morts (parmi lesquels 9 dans des attentats), ce qui donne un total de 121 à gérer. Vingt enfants seraient rentrés au pays à ce jour et 44 returnees seraient actuellement en prison. A contrario, il resterait 296 combattants belges en Syrie et en Irak dont environ la moitié sont morts. Mais, parmi les quelque 140 restants, il y en a un grand nombre dont on ignore s’ils sont morts, vivants, s’ils se cachent… Le manque d’information sur le sujet s’explique notamment par l’absence de présence officielle belge sur place. Il resterait également 175 enfants belges sur place, parmi lesquels une quarantaine sont dans les camps. La majorité des autres sont éparpillés dans la nature ou décédés.

Une judiciarisation des dossiers

Qu’en est-il, pour l’heure, du rapatriement de ces combattants ? Ceux-ci pourraient rester, pour une durée plus ou moins longue, en détention sur place. L’essentiel des retours a eu lieu entre 2013 et mi-2015. Depuis lors, les mouvements d’aller-retour se sont arrêtés. Reste la question du rapatriement. Ces combattants ne disposent pas de soutien local, éprouvent des difficultés à se cacher parce qu’ils n’ont pas une apparence syrienne et les réseaux pour revenir au pays sont rares et donc chers. Actuellement, le rapatriement est difficile pour les enfants et n’est pas une option retenue pour les adultes.

Que faire, par conséquent, avec ces combattants ? Une option est un jugement en Irak, mais les procès y sont expéditifs, les conditions de détention problématiques et le risque de peine de mort présent. En Syrie, les Kurdes qui détiennent ces personnes n’ont pas de légitimité pour juger ; le risque pour les combattants d’y séjourner longtemps dans des camps sans décision y est donc réel. L’idée d’instaurer un tribunal international existe, mais la question de son mandat et de son statut restent en suspens.

Après le retour en Belgique, la réponse est plus claire : il y a une judiciarisation de tous les dossiers de FTF. Une loi de 2015 offre la possibilité de juger les crimes commis là-bas, avec un traitement égal réservé aux hommes et aux femmes. Elle prévoit une peine de 3 à 5 ans minimum de prison, indépendamment des condamnations pour les crimes supplémentaires. Le processus de cette judiciarisation prévoit une détention immédiate, suivie d’un procès, d’une condamnation soutenue par une collecte de preuves sur place et d’un régime de séparation dans les prisons, entraînant un risque d’isolement avec un effet contre-productif sur l’individu. Par ailleurs, il y a un suivi de la radicalisation en prison (avec techniques de renseignement classiques), un suivi psychosocial avec programmes de réinsertion et de « désengagement », et un suivi post-pénitentiaire assuré par les instances chargées de celui-ci avec les détenus « classiques ».

Un contexte différent

Face à ce défi des combattants djihadistes, deux perspectives s’ouvrent. La perspective pessimiste comprend les hypothèses que ces combattants continuent à opérer et à recruter là-bas, migrent vers d’autres conflits ou reviennent en cachette. Se pose aussi, dans ce cadre, la question du suivi des frustrés du djihad et du suivi des returnees à long terme. Combien de temps va-t-on garder les mesures en application ? Quelle est et sera la volonté de garder ces mesures effectives ? Il existe aussi un risque réel que les returnees créent des foyers de radicalisation en prison, devenant des leaders de ceux-ci.

La perspective optimiste repose, elle, sur le fait qu’il y a très peu de retours depuis 2016. En Belgique, depuis trois ans, la majorité des returnees tentent de se réinsérer et montrent des signes de déradicalisation. Il y a aussi le fait que, selon une étude, plus le temps passe, moins ces returnees sont dangereux. La propension à commettre des attentats se déclare très rapidement après le retour. Or, il n’y a plus eu d’attentats de returnees dans le pays depuis mars 2016. La cellule reliant Verviers, Bruxelles et Paris a été entièrement démantelée et, entre 1 et 10% seulement des returnees récidivent dans le terrorisme, alors que cette proportion est de 50% dans la criminalité classique Par ailleurs, le contexte est différent aujourd’hui. D’une part, le califat a chuté. D’autre part, l’appel au djihad n’est plus à la mode et l’intérêt ne sera plus le même si des recruteurs tentent encore d’agir.

Et les enfants ?

Le délégué général aux Droits de l’Enfant, Bernard Devos a complète le tableau général en évoquant le volet relatif aux enfants. Le rapatriement de six enfants belges, relayé par les médias, a mis la question au centre des attentions et des débats. Selon Bernard Devos, cette opération est un premier pas positif et il n’y a rien de particulier à procéder de la sorte : tous les pays l’ont fait, avec une priorité pour les orphelins. Pour l’heure, il subsiste encore des enfants belges localisés dans trois camps, dont 38 de moins de 5 ans, accompagnés de 17 mères. La majorité sont victimes de malnutrition et 85% d’entre eux souffrent de problèmes de croissance.

Pour le délégué général aux Droits de l’Enfant, le problème n’est pas le retour des enfants, c’est la question des mères. Or, estime-t-il, il serait assassin de les séparer. Cela priverait les enfants de leur mère et cela priverait les mères de leurs enfants pour qui elles représentent la seule sécurité dans un environnement instable, voire hostile. L’interrogation centrale pour Bernard Devos est, par conséquent : va-t-on laisser des mères et des enfants dans une telle situation, dans un pays d’où les attentats sont partis et où un nouveau terrorisme peut grandir ? Un des aléas de ce dossier est, à ses yeux, que chaque pays d’Europe agit séparément. Le même jour où la Belgique a rapatrié six enfants, la France en a fait de même avec douze enfants et la Norvège avec quatre. Et de se poser la question : pourquoi n’y a-t-il pas de représentation permanente de l’Europe là-bas ? La situation en cours laisse la porte ouverte à des personnes qui s’enrichissent sur place avec le business du rapatriement.

L’homme rappelle en sus qu’il y a eu 250 décès d’enfants en hiver dans les camps et que l’été sera tout aussi meurtrier avec des températures de 45° le jour et plus de 30° la nuit. Et d’expliquer : « La majorité de ces enfants ont été conçus pour peupler le califat. Leur plus grand droit est le droit à l’identité. L’absence d’identité, comme c’est le cas pour beaucoup, constitue la pire entorse à la Convention des Droits de l’Enfant. Ces enfants ne disposent d’aucune existence, d’aucune protection légale. » Avant d’ajouter : « Il serait absurde de se focaliser sur la confirmation de leur identité préalable à leur rapatriement, par des tests ADN, etc. alors que ceux-ci sont impossibles à réaliser sur place. »

Dominique Watrin (DISCRI)

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