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Le racisme anti-Noirs en Belgique francophone

Une lutte contre un apartheid qui ne dit pas son nom. 

Le racisme anti-Noirs est sans doute la moins médiatisée de toutes les formes de racisme, à côté d’autres formes plus souvent évoquées de la question, comme l’antisémitisme et l’islamophobie. C’est, en tout cas, l’avis de Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau qui ont décidé de consacrer à cette question un livre intitulé « Racisme anti-Noirs Entre méconnaissance et mépris ». Ils étaient récemment les invités d’une conférence littéraire organisée dans ses locaux par le CRIC (Centre Régional d’Intégration de Charleroi). Entre constats et témoignages.

Le postulat de départ des deux auteurs, tous deux chargés d’études et d’animation chez BePax (mouvement d’éducation permanente à la paix et à la non-violence), est qu’on parle peu de la négrophobie qui est une problématique négligée, parce que souvent jugée comme « pas trop grave ». Face à  cette impression, l’objectif de leur ouvrage a été de faire le panorama de la question en Belgique francophone, en titillant les esprits et en suscitant le débat. En procédant comment ? Simplement en interviewant 85 acteurs (chercheurs, coopérants d’ONG, directeurs de musée, etc.) en lien professionnel étroit avec la problématique. L’idée était de les interroger sur leur perception, leurs représentations sur les Noirs que les deux auteurs ont pris l’option d’appeler « les Afro-descendants », jugeant le terme « Noir » chargé de racisme.

Trois séries de questions

Quel imaginaire se cache derrière le mot « Noir » ? Doit-on parler d’afrophobie, de négrophobie, d’afrisme ? Et, derrière cette interrogation terminologique, découper les formes de racisme ne déforce-t-il pas l’antiracisme ? Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau se sont posé beaucoup de questions en rédigeant leur livre. Selon eux, il y a certes une ligne commune entre toutes les formes de racisme, mais les traits spécifiques sont différents. Et leur but n’est pas de dire qu’il y a une forme de racisme plus importante qui serait le racisme anti-Noirs.

Pour fixer leur photographie de la question au sein du champ associatif belge francophone, les auteurs ont voulu savoir comment on défend les personnes victimes de racisme anti-Noirs. En interrogeant les intervenants chargés de cette défense, ils ont entrepris d’amener à regarder, à réfléchir et, au final, à établir qu’à tous les niveaux, il faut se défaire des stéréotypes. Aux 85 acteurs interrogés, ils ont donc posé trois sériés de questions. La première d’entre elles portait sur la connaissance basique du passé colonial belge. Ces questions « objectives » avaient trait à des données factuelles. Les résultats enregistrés dans ce premier volet ont été plutôt encourageants avec 68% de bonnes réponses.

Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau

Le deuxième registre de questions avait trait à la connaissance des diasporas postcoloniales (du genre « Combien, selon vous, y a-t-il approximativement de ressortissants de telle origine en Belgique ? »), étant entendu que les personnes questionnées étaient des « spécialistes » travaillant dans le secteur concerné. Et là, premier couac, à peine 48% de réponses exactes ont été enregistrées. Enfin, le troisième volet était celui de l’exemplarité, avec pour question centrale « Et vous, dans votre organisme, engagez-vous des Afro-descendants, mais dans des vrais contrats stables et décents, pas dans des fonctions de stagiaires ou des emplois subalternes et techniques, comme technicienne de surface ou comptable ? » Et, dans ce volet, le taux de « bonnes réponses » a dramatiquement chuté à… 17%.

Cinq catégories de stéréotypes

Dans leur ouvrage, Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau énoncent les spécificités du racisme anti-Noirs qu’ils situent davantage entre mépris et méconnaissance que du côté de la haine et de la peur. Ils ont établi cinq catégories de stéréotypes concernant les Afro-descendants. Ce sont la présomption d’incapacité (« Ils ne sont pas capables. »), les modes de vie (retard permanent, surnombre dans les logements, etc.), l’hygiène, le volet sexuel (taille de l’attribut et violence avec leur compagne pour les hommes et grande liberté sexuelle pour les femmes) et, enfin, les rites (propension au rire, sens du rythme, qualités sportives, etc.)

Sur base de ces stéréotypes, les auteurs notent que la manière d’exprimer le racisme anti-Noirs relève surtout du mépris, sous forme tantôt de propos, tantôt de sous-entendus, qui peuvent parfois partir d’une intention bienveillante (comme tutoyer ou articuler lentement pour bien se faire comprendre d’un interlocuteur afro-descendant, simplement sur base de sa couleur de peau). Face à ces multiples formes de racisme anti-Noirs, Mireille Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau ont été forcés de constater que l’antiracisme traditionnel est essentiellement… blanc. La question est alors : qui parle pour qui ? Selon eux, il y a des dysfonctionnements structurels qui font que l’antiracisme ne fonctionne pas comme il devrait. « En fait, cible Nicolas Rousseau, on prône dans son discours quelque chose qu’on pratique peu. »

« Les Afro-descendants se plaignent beaucoup de l’absence de personnes africaines dans la lutte antiraciste, note Mireille-Tsheusi Robert. J’entends dire « On peut se défendre nous-mêmes avec eux, les Européens. » C’est la même problématique qu’à l’époque, avec le féminisme. C’étaient des hommes qui défendaient les femmes. Une situation où ce sont les Blancs qui décident ce qui est bien pour les Noirs relève d’une vision paternaliste dans laquelle le Blanc sait et le Noir ne fait que bénéficier, profiter. »

Décoloniser les esprits

Plus largement, un des constats du livre est l’existence d’une forme d’apartheid qui ne dit pas son nom qui fait que les gens ne se mélangent pas assez, alors qu’ils devraient le faire. « Le racisme, c’est d’abord une idéologie politique, affirme Mireille-Tsheusi Robert. Dans la société, il y a plein de stimuli qui nous incitent à être raciste sans nous en rendre compte. Regardez, par exemple, simplement l’apparition des Noirs à la télévision. Dans quels rôles les voit-on ? Des dictateurs en costume-cravate, des enfants-soldats… En fait, la plupart du temps, dans des situations pas très positives, voire négatives. Et c’est pareil dans les discours tenus à l’école. Le plus souvent, on ne parle pas des Noirs et, quand on en parle, c’est pour organiser une action humanitaire induisant qu’ils sont pauvres. »

Amer, le duo d’auteurs pousse même les constats plus loin. « Même certains jeunes Belges de peau noire sont racistes vis-à-vis de leur propre communauté, déplorent-ils. Avec des discours comme « Nous, on est moins évolués. », « Nous, on n’a rien inventé. »… Socialisés ici, ils ont été rendus racistes par la société belge. Tout le monde semble avoir intégré que la relation avec l’Afrique est l’aide. Pas le mariage, le métier, etc. » Où se situe alors le cœur du problème de base ? « Le nœud de la question, martèle Mireille-Tsheusi Robert, c’est qu’il n’y a pas eu de moment de décolonisation de même ampleur que celui qui a fondé la colonisation. Il n’y a pas eu de moment de rupture, il n’y a pas eu de rééducation. Il faut décoloniser les esprits. » Un message que le livre contribue à répandre…

Dominique Watrin

Racisme anti-Noirs Entre méconnaissance et mépris de Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau, Éditions Couleur Livres, 2016, 132 pp.

Quelques images de la conférence qui a eu lieu au CRIC le 22 novembre 2017 avec Mireille-Tsheusi Robert et Nicolas Rousseau

 

 

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